6e TO C (Jérémie 17,5-8) (St Paul 1Cor.15,12.16-20) (Luc 6,17.20-26)
Nous sommes au début de la vie publique de Jésus. Il a commencé à enseigner, impressionnant les foules par la profondeur de sa parole. Les quelques miracles qu’il a déjà faits ont renforcé sa renommée, il n’est donc pas étonnant que ce jour-là, une grande multitude se soit pressée autour de lui. On venait de partout, de la Judée à l’extrême sud comme des territoires païens de Tyr et de Sidon au nord de la Palestine Il va alors prononcer le fameux discours des Béatitudes que l’on peut considérer comme un discours programme puisque à travers ces Béatitudes, le Seigneur indique les dispositions nécessaires et la conduite à tenir pour entrer dans le Royaume.
Comme dans une courte homélie, il n’est pas possible d’analyser en profondeur toutes ces béatitudes, je ne parlerai que de la première : Bienheureux vous, les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. C’est d’ailleurs la plus importante. Comme très souvent, les paroles de Jésus sont déconcertantes, mais ici, il bat tous les records. Comment peut-on dire que les pauvres, ceux qui ont faim, ceux qui pleurent, ceux qui sont haïs méprisés et rejetés sont bienheureux ? Personne ne souhaiterait ce genre de bonheur à ceux qu’il aime, et le Seigneur non plus. Alors qu’est-ce qu’il veut dire ?
Mettons les choses au point. La pauvreté est un mal. Elle peut même être pour le chrétien un mal mortel en ce sens qu’elle peut le plonger dans l’insécurité et l’angoisse. Or un chrétien devrait toujours se sentir en sécurité enveloppé par l’amour du Père. Ne soyez inquiets de rien dit St Paul mais en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnées d’action de grâces faites connaître vos demandes à Dieu (Phil.4,6) Personne ne souhaite à ceux qu’il aime d’être pauvres. Et le Christ non plus. Mais la pauvreté est un mal qui peut avoir des effets secondaires extrêmement positifs. Le pauvre, comme il est dans le besoin, cherche à se procurer ce qui lui manque. Il voit bien qu’il ne peut pas s’en sortir tout seul. Il va donc chercher de l’aide auprès de ceux qui l’entourent. Mais on ne peut pas toujours se fier aux autres. Et puis les choses à quoi on tient le plus : le bonheur, la santé, personne ne peut vous les procurer. Finalement, on est obligé de se tourner vers Dieu. L’avantage quand on est pauvre, c’est que l’expérience vous fait sentir plus facilement que vous avez besoin de Dieu. Le pauvre est ouvert à Dieu.
La richesse, elle, est un bien. D’ailleursla Bible nous dit que Dieu comble de biens ceux qu’il aime. Abraham était très riche (Gen.13,2) Isaac et Jacob, extrêmement riches. (Gen.26,12). Sans compter que la richesse est le fruit et la récompense du travail et de l’effort. Mais la richesse est un bien dangereux qui peut avoir des effets secondaires non seulement négatifs mais mortels. Quand vous êtes riche, votre argent, votre instruction, votre culture, qui sont aussi des richesses, vous permettent de vous procurer tout ce que vous désirez. Très facilement vous en venez à penser que vous n’avez besoin de rien ni de personne et pas même de Dieu. Vous vous sentez parfaitement maîtres de votre destinée, au point que renfermés sur vous-mêmes, il n’y a plus de place pour Dieu dans votre vie. Déjà l’auteur du Deutéronome nous mettait en garde : Quand tu auras vu abonder ton argent et ton or, s’accroître tous tes biens, n’oublie pas alors Yahvé ton Dieu. Garde-toi de dire en ton cœur : c’est ma force, la vigueur de ma main qui m’ont procuré ce pouvoir. Souviens-toi de Yahvé ton Dieu, c’est lui qui t’a donné cette force, qui t’a procuré ce pouvoir. (Deut.8,12…) Les riches, disait le prophète Osée, leur cœur s’est enflé, c’est pourquoi ils ont oublié Dieu (13,6) et le Christ est catégorique : Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. (Mt.19,24).Alors que le pauvre est ouvert à Dieu, le riche, lui, est fermé à Dieu.
Mais tout ça ne nous dit pas comment le pauvre peut être heureux. Normalement il devrait être malheureux de voir que bien des choses lui manquent et qu’il est incapable de s’en sortir par lui-même. Oui mais, se sentant pauvre et démuni, il va penser à se tourner vers Dieu pour avoir son aide. Et justement il se trouve que Dieu est un Père qui nous aime et qui sait de quoi nous avons besoin, avant même que nous le lui demandions (Mt.6,6). Moi je suis pauvre et malheureux mais le Seigneur pense à moi dit le ps.40. Les pauvres sont les préférés du Seigneur. Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied, mais celui sur qui je jette les yeux, c’est le pauvre et le cœur contrit. dit-il en Isaïe (6,8) Quel paradoxe étonnant et merveilleux ! Les pauvres qui devraient être malheureux de voir qu’ils n’arrivent à rien vont se retrouver bienheureux parce que, dans leur malheur, ils se tournent vers Dieu qui va leur donner ce que les richesses, le savoir ou une bonne réputation ne peuvent leur donner. Que je sois pauvre, que je n’arrive à rien, qu’est-ce que ça peut faire, puisque Dieu est avec moi ! Je peux dire comme St Paul Je puis tout en celui qui me fortifie (Phil.4,13). Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort 2Cor.12,10) Le pauvre n’est pas bienheureux parce qu’il est pauvre, mais parce que sa pauvreté lui fait retrouver son Dieu source de tout bien, son Dieu capable de le combler bien au-delà de ce que toutes les richesses de la terre pourraient lui apporter.
Cette pauvreté dont parle le Seigneur n’est pas une qualité facultative qu’un chrétien pourrait avoir ou non, c’est une qualité indispensable, absolument nécessaire pour entrer dans le Royaume de Dieu, parce qu’elle nous ouvre à Dieu, nous fait sentir le besoin de Dieu. Les pauvres sont bienheureux parce que, n’étant pas satisfaits de leur pauvreté, ils cherchent la vraie richesse auprès de Dieu. De même ceux qui pleurent sont bienheureux parce que n’étant pas satisfaits des joies d’ici-bas, ils cherchent la vraie joie auprès de Dieu. De même encore ceux qui ont faim et soif de justice sont heureux parce que n’étant pas satisfaits de la justice d’ici-bas, ils aspirent à la vraie justice que seul, Dieu peut leur offrir. Autrement dit, l’attitude de base pour suivre le Christ, c’est d’être un homme de désir, qui n’est pas satisfait des richesses de la terre, impuissantes à faire de lui l’homme qu’il voudrait être. Toujours il cherche mieux. Au plus profond de lui, il en est convaincu, comme St Augustin : Tu nous as fait Seigneur pour Toi, et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi.
Que retenir de tout cela ?
Heureux vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous, qu’est-ce que cela veut dire ?
La pauvreté dont parle Jésus n’est pas d’ordre économique. Le fait de ne pas posséder de richesses ne fait pas de vous automatiquement un juste. L’indigence et la pauvreté matérielle n’ouvrent pas, de soi, les portes du Royaume qui n’est pas un royaume de clochards et de SDF, de ratés et d’ignorants ! Les pauvres dont parle Jésus, sont des pauvres de cœur et on les trouve dans toutes les classes sociales. Qu’ils aient peu ou beaucoup de richesses matérielles, peu ou beaucoup de diplômes universitaires, qu’ils soient très cultivés ou non, ils voient bien qu’ils demeurent incapables de faire le bien qu’ils aiment et que, trop souvent, ils font le mal qu’ils n’aiment pas. Du coup, ils se tournent vers le Seigneur dont ils découvrent qu’il est le seul capable de les sortir de leur misère et de combler leurs aspirations les plus profondes parce qu’il est comme dit St Paul le seul dont la puissance agissant en nous peut faire bien plus, infiniment plus que tout ce que nous pouvons désirer ou imaginer. (Ephes.3,20)