(Fromelles, 10 novembre 202431e dimanche T.O. année B, 1 R 17, 10-16, He 9,24-28, Mc 12,38-44)
L’évangile d’aujourd’hui nous transporte au Temple de Jérusalem où Jésus regardant la foule qui circule sur les parvis met en garde ceux qui l’écoutent contre l’orgueil et l’hypocrisie des scribes tandis qu’il fait l’éloge de la pauvre veuve qui passe inaperçue de tous quand elle dépose une offrande apparemment modique mais pourtant très généreuse.
Qui sont les scribes ? Ce sont des copistes, des greffiers attachés au service du culte. La plupart d’entre eux faisaient partie de la secte des Pharisiens. Ceux-ci formaient une confrérie de dévots très soucieux de se maintenir avec ferveur dans la fidélité à la Loi. Ce qui était très bien, sauf que, fiers de leur savoir en matière de religion et de leur zèle à pratiquer minutieusement la Loi, ils regardaient de haut la masse des croyants peu instruits pour ne pas dire ignorants. Ils tenaient à être vus faisant de longues prières dans les lieux publics, cherchant par tous les moyens à être admirés, comme d’ailleurs un certain nombre de prêtres et de docteurs de la Loi.
Qu’est-ce que Jésus leur reprochait exactement ? Leur orgueil, bien sûr, mais plus encore leur hypocrisie. Faisant semblant de servir Dieu, en fait, ils se servaient de la religion pour satisfaire leurs ambitions, apparaître aux yeux de tous comme des notables dignes d’estime et acquérir ainsi les premières places dans la société. Ils n’ont pas manqué d’imitateurs au cours des siècles. Pensez à Henri IV se convertissant au catholicisme, non par conviction religieuse, mais parce que cette conversion lui donnait les clés de Paris et du royaume de France. On lui prête la boutade bien connue : « Paris vaut bien une messe !» Et aujourd’hui encore vous pouvez voir à la télévision tel chef d’état notoirement athée s’exhiber faisant de multiples signes de croix en compagnie du métropolite de Moscou, en vue de s’assurer la bienveillance et le vote des croyants abusés. De tous temps il y a eu et il y a encore des pseudos croyants et même de vrais croyants qui utilisent la religion comme moyen pour acquérir de l’autorité et du pouvoir dans la société.
Rien n’est plus opposé au Christ et à son évangile que la recherche du pouvoir. La politique du Christ, ce n’est pas le pouvoir, c’est le service. Il est venu pour servir et pas pour être servi (Marc 10,45) ni pour se servir. Le soir du Jeudi Saint, après avoir lavé les pieds de ses disciples, il nous a laissé une consigne claire : Si je vous ai lavé les pieds, moi le Maître et le Seigneur, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres, car c’est un exemple que je vous ai donné, ce que j’ai fait pour vous, faites-le, vous aussi. (Jean 13, 14-15). Le Christ revendique haut et fort sa condition de serviteur, il se présente comme tel : Je me tiens au milieu de vous comme celui qui sert. (Luc 22,27) Par conséquent si je prétends être chrétien, suivre et imiter le Christ, je dois, comme lui, vivre à plein temps dans une attitude de service.
Cette attitude de service n’est pas une qualité secondaire ou facultative qu’un chrétien pourrait avoir ou ne pas avoir, et pratiquer de temps à autre, c’est une qualité nécessaire à tous ceux qui veulent suivre et imiter le Christ. Parce que le service, c’est l’agir de l’amour, c’est l’amour en actes. L’amour se vit à travers des actes où on se met au service de ceux qu’on aime. L’attitude de service est à l’opposé de la recherche du pouvoir, source du cléricalisme qui à travers les siècles et encore aujourd’hui ne cesse de ronger et de détruire l’Église. Il sévit à tous les niveaux, depuis les petits enfants de chœur qui se battent pour savoir qui va tenir l’encensoir à la grand-messe, jusqu’aux dignitaires ecclésiastiques qui dans certains pays cherchent à détenir le pouvoir politique; depuis les théologiens qui veulent imposer leurs théories personnelles à l’ensemble de l’Eglise, jusqu’au modeste curé de campagne qui arrivant dans une nouvelle paroisse, dissout immédiatement tous les comités existants, afin de détenir seul tous les pouvoirs. Ou bien encore, ce sont des séminaristes qui se lancent dans la course aux diplômes, plus désireux d’avoir un doctorat et d’enseigner à l’université que d’apporter l’évangile en brousse. Mais les clercs ne sont pas les seuls à s’accrocher au pouvoir, les laïcs aussi parfois en font autant. Dernièrement, on m’a rapporté que dans un village, une équipe de paroissiens en charge des enterrements avait empêché un prêtre venu assister aux obsèques d’un membre de sa famille de célébrer la messe de funérailles. Grâce à Dieu, ils sont très loin de constituer la majorité, mais il reste encore des scribes et des pharisiens assoiffés de pouvoir et d’honneurs dans l’Eglise du XXI° siècle et tous nous devons veiller à ne pas nous laisse avoir par les subtiles tentations de l’orgueil et du pouvoir.
Mais en nous demandant de rester constamment dans une attitude de service, est-ce que le Christ ne fait pas de nous un peuple d’esclaves ? Si je suis obligé de me mettre au service de quelqu’un, parce que j’y suis contraint par la misère ou la nécessité, je me retrouve à un niveau inférieur dans la société, c’est vrai. Mais si c’est par amour que je me mets au service de quelqu’un, au contraire, je m’en retrouve anobli, car le service auquel je me soumets est expression de mon amour pour lui, c’est de l’amour en actes. Une maman qui, toute la journée, se consacre à ses enfants, tout le monde la respecte et l’estime. Pourquoi ? Parce que tous ces travaux, toutes ces corvées qui l’accaparent toute la journée, ce ne sont plus des travaux, ce ne sont plus des corvées, c’est de l’amour qui se déploie. Quand le service des autres est l’expression de l’amour qu’on a pour eux, ce qu’il pourrait contenir de servitude disparaît, il ne reste plus que de l’amour. La vie du Christ en est la plus éclatante illustration.
Alors que les scribes et les pharisiens imposaient jusque 613 préceptes de la Loi à respecter. Le Christ, reprenant l’enseignement du Seigneur dans le prophète Osée : C’est l’amour que je veux et non les sacrifices (Osée 6,6) ne nous lègue en tout et pour tout qu’un seul commandement : Aimer, aimer Dieu et le prochain. C’est pourquoi il tient à faire l’éloge de la veuve qui vient déposer son offrande modeste pour les frais du culte et le secours des pauvres. Financièrement cette offrande est insignifiante : deux petites pièces de monnaie. Mais aux yeux du Seigneur qui connaît la valeur des choses elle pèse plus lourd que les grosses sommes données par les riches, elle pèse le poids de la ferveur d’un cœur simple qui donne non pas de son superflu, mais de son nécessaire pour l’amour de son Dieu et des plus pauvres qu’elle, en ayant l’élégance de cacher sa générosité et sa délicatesse en s’approchant discrètement, sans se faire voir.
Que retenir de tout cela ?
Dans cet évangile, le Seigneur nous met en garde contre la recherche du pouvoir, de l’autorité, du prestige comme faisaient les scribes et les pharisiens, parce qu’une telle attitude est en parfaite contradiction avec ce qu’il nous demande. Qu’est-ce qu’il nous demande ? Une seule chose : Aimer. Aimer Dieu et aimer son prochain. Or l’amour se vit à travers des actes où on se met au service de ceux qu’on aime. C’est seulement au cinéma que l’amour consiste à s’embrasser. Dans notre vie de chaque jour, l’amour se vit dans ce qu’on fait pour ceux qu’on aime, dans la peine qu’on se donne pour ceux qu’on aime, dans le service de ceux qu’on aime. Chaque fois que nous avançons dans l’esprit de service, nous nous approchons du Christ. Chaque fois que nous avançons dans la recherche du pouvoir nous nous éloignons du Christ.
Finalement l’évangile d’aujourd’hui nous amène à nous demander : Est-ce que je marche vraiment à la suite du Christ ? Qu’est-ce qui compte pour moi, le pouvoir ou le service ?
cette homélie est très belle ,et j’y i retrouvé le passage qui me tient le plus à coeur : » Si je vous ai lavé les pieds ,moi le Maître et le Seigneur, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres, car c’est un exemple que je vous ai donné ,ce que j’ai fait pour vous ,faites-le vous aussi «