(Isaïe 60, 1-6) (Eph.3,2-3a,5-6) (Mt.2,1-12)
Nous célébrons aujourd’hui l’Épiphanie, c’est-à-dire la manifestation du Seigneur à tous le peuples du monde, représentés ans l’Évangile par les Mages. Qui étaient les mages ? Ce n’était pas des rois comme on le dit souvent, mais des personnages importants, mi-savants, mi-magiciens, qui pratiquaient l’astronomie, la médecine, l’astrologie et interprétaient les songes. Ils venaient de l’Est, de la région où se trouvent aujourd’hui l’Arabie l’Iran, l’Irak. En observant le ciel, ils ont remarqué une étoile nouvelle. Or d’après leurs traditions, l’apparition d’une étoile nouvelle annonçait la naissance d’un roi ou d’un personnage important. Voilà pourquoi quelques uns d’entre eux se sont mis en route suivant la trajectoire de cette nouvelle étoile. Arrivés à Jérusalem, ils demandent tranquillement aux autorités : Où est le Roi des Juifs qui vient de naître ? sans se douter de l’émoi qu’ils provoquent : Hérode craint que ce nouveau roi ne le détrône, et les croyants Juifs se demandent si cette étoile nouvelle n’annoncerait pas l’arrivée du Messie. Tout le monde est bouleversé. On convoque les grands prêtres et les scribes pour leur demander ce que disent les Écritures à propos de naissance du Christ. Ils indiquent alors que selon les prophètes, Samuel, le livre des Rois et surtout Michée, c’est de Bethléem que sortira le chef qui sera le berger d’Israël. (Michée 5,1) Les Mages se remirent donc en route, découvrirent l’enfant roi et se prosternèrent devant lui.
St. Mt. est le seul évangéliste à nous rapporter la visite des Mages. Il y tient parce que ce récit l’aide à évangéliser ses lecteurs qui sont des Juifs en voie de conversion au christianisme mais que deux objections empêchent encore de franchir le pas. Ils craignent que le Christ ne prêche une religion nouvelle, en rupture avec le judaïsme, et d’autre part ils pensent que le Messie n’est envoyé qu’aux Juifs qui constituent seuls le peuple de Dieu, les autres nations en étant exclues. St. Mt. est tout heureux de leur dire: Voyez vous-mêmes : Jésus n’est absolument pas en rupture avec le judaïsme, même sa naissance à Bethléem était déjà annoncée par les prophètes. D’autre part ce n’est pas la prédication de Jésus qui étend aux nations païennes le salut, c’est une lumière venue du ciel qui a guidé les païens vers le salut.
Pour nous aujourd’hui, l’universalité du christianisme ne nous trouble pas. Au contraire, nous sommes fiers lorsque notre voisin à la messe est un étranger, originaire d’Amérique latine, d’Afrique ou du Vietnam. Et nous sommes heureux de voir la diversité des liturgies qui expriment la même foi, d’une extrémité du monde à l’autre. L’Épiphanie du Seigneur, sa manifestation à tous les peuples de la terre, n’exclut personne. N’empêche que les contemporains de Jésus avaient du mal à accepter qu’il s’intéresse à une Samaritaine, aux populations païennes de Sidon et de Tyr ou encore à ce centurion romain dont il donnait la foi en exemple. Nous autres aujourd’hui, il nous arrive encore de regarder de travers ceux qui ne prient pas comme nous ou qui ne sont pas de la même religion et nous croyons un peu trop vite que la seule manière valable de prier c’est la nôtre.
Le Seigneur se révèle à tous les hommes de bonne volonté, mais de manière différente, selon leur sensibilité. Les uns vont s’approcher de lui avec retenue , de manière un peu guindée, tandis que d’autres vont s’en approcher avec de chants et des danses que d’aucuns trouvent déplacés. Réjouissons nous de ce que le Seigneur attire les hommes de différentes manières. Quelle que soit notre manière de prier, de toute façon elle est toujours maladroite et insuffisante. Dans notre effort pour nous approcher de Dieu nous sommes toujours ridicules en même temps que touchants. Ridicules parce que nous ne sommes jamais à la hauteur, mais touchants parce que dans notre maladresse, nous y mettons quand même tout notre cœur. Ce qu’il faut absolument éviter c’est de se figer dans une façon de faire. Toujours nous devons garder le souci d’avancer et d’améliorer notre façon de faire.
Comme le Christ qui, dans l’évangile, va toujours de l’avant dans une perspective de progrès et d’ouverture, ce qui le met en conflit ouvert avec le milieu clérical de son temps figé et crispé sur les coutumes du passé auxquelles il s’accroche farouchement. Dans son grand discours inaugural, le Sermon sur la montagne, solennellement, à six reprises, il répète :Vous avez appris…et moi je vous dis, il vous a été dit …et moi je vous dis. Sans jamais rien renier des coutumes du passé il en propose un approfondissement et une amélioration. Mais bien sûr, scribes, prêtres et pharisiens ne veulent pas entendre parler de ces « nouveautés » C’est malheureusement une constante universelle : à travers les siècles et sur tous les continents, dans un souci louable d’éviter les hérésies, les Églises institutionnelles et leurs hiérarchies sont toujours hostiles à la nouveauté et donnent l’impression d’aller vers l’avenir en avançant à reculons les yeux rivés sur les usages et coutumes des cinquante ou soixante dix dernières années qu’elles appellent LA tradition et qu’il faut respecter sous peine de péché mortel.
D’autre part, dans cette histoire des mages, un autre fait devrait retenir notre attention : ils ont découvert l’étoile qui les a conduits à Dieu non pas dans la prière, mais en faisant leur travail d’astronomes, en scrutant le ciel. Cela veut dire que le travail peut nous mener à Dieu tout autant que la prière. C’est vrai que bien souvent le travail peut nous éloigner et nous couper de Dieu. Trop souvent il n’est qu’un moyen de rechercher avidement des richesses, il est la source de conflits sociaux de toutes sortes entre groupes rivaux ou de guerres entre nations. Mais il est tout aussi vrai que le travail peut nous rapprocher et nous maintenir en communion avec Dieu. Le travail, c’est le lieu où nous utilisons le courage, l’intelligence et les talents qu’il nous a donnés. C’est le lieu où nous sommes au service du prochain, que nous soyons en train de préparer le repas de la famille, de construire une maison ou de fabriquer des médicaments car ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait nous dit le Seigneur (MT.25,40) Et puis notre travail contribue à développer et améliorer la création. Ceci est tellement vrai que St Ignace de Loyola, le fondateur des jésuites insistait beaucoup pour que les jeunes religieux soient appris à trouver Dieu dans leur travail plutôt que dans de longues oraisons. Mais cela suppose qu’on ne se laisse pas abrutir par des rythmes de travail abrutissants, qu’on ne se laisse pas noyer dans la multiplicité de ses occupations, mais qu’on prenne le temps de faire surface pour respirer. Les mages ont vu l’étoile parce qu’ils avaient le nez en l’air ! Cela devait faire réfléchir les super-actifs que nous sommes.
Que retenir de tout cela ?
Célébrant aujourd’hui la manifestation de Dieu à toutes les nations, réjouissons-nous de ce qu’à travers le monde nous soyons des millions d’hommes de toutes les couleurs et de toutes les cultures à partager la même foi. Mais n’oublions pas ceux qui, autour de nous, n’ont pas encore découvert le Christ. Serons-nous pour eux l’étoile qui les guide vers la lumière ?
C’est dans leur travail d’astronomes que les mages ont découvert l’étoile qui les a conduits jusqu’à Dieu, parce que le travail peut nous mener à Dieu tout autant que le prière. Mais encore faut-il ne pas nous laisser noyer dans le travail. Les Mages ont vu l’étoile parce qu’ils avaient le nez en l’air ! tâchons d’avoir, nous aussi, comme les Mages, de temps en temps le nez en l’air ! Ainsi soit-il !