Nous sommes au soir du jour de Pâques. Les disciples sont rassemblés, les portes du lieu où il se trouvent sont soigneusement verrouillées par crainte des Juifs. Ils sont là tristes, découragés encore sous le coup des évènements tragiques qu’ils viennent de vivre : la Passion du Seigneur et sa mort sur la croix, son ensevelissement et sa mise au tombeau. Ils avaient tellement espéré qu’il serait le Messie triomphant… Soucieux et inquiets ils se demandent ce qu’il va se passer maintenant. Des bruits courent. Il serait ressuscité. Marie Madeleine l’aurait vu. Mais ils n’y croient pas. Ils sont abattus, désorientés. Soudain Jésus vint et il était au milieu d’eux. Ils sont effrayés. Mais Jésus les rassure tout de suite : Soyez en paix, La paix soit avec vous ! Comme il voit qu’ils ont de la peine à croire que c’est bien lui, il leur montre les plaies de ses mains et de son côté ; ce n’est pas un esprit ni un fantôme, même si son corps ressuscité lui permet d’apparaître soudainement au milieu de ses disciples sans passer par la porte Convaincus, ils laissent alors éclater leur joie.
Mais Jésus n’apparait pas à ses apôtres seulement en vue de les consoler dans leur
abattement. S’il leur apparait, c’est aussi dans le but de les envoyer en mission : De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Il étend aux apôtres sa mission propre reçue du Père. Il n’a pas un mot de reproche à leur égard, alors qu’ils l’ont abandonné et se sont enfuis lors de son arrestation. Il ne fait pas la moindre réprimande à Thomas pour son obstination à refuser de croire en sa résurrection. Il fait encore entièrement confiance à ses apôtres qui en sont bouleversés. Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. Le moment est solennel. En soufflant sur eux, il reproduit le geste du créateur qui a insufflé en l’homme un souffle qui fait vivre (Sagesse 15,1) Il s’agit donc ici d’une sorte de nouvelle création par laquelle le Seigneur insuffle en ses disciples sa vie nouvelle ressuscitée et donc toute la puissance de cette vie nouvelle capable de venir à bout du mal, du péché et de la mort. Désormais les apôtres peuvent partir affronter le monde et construire le Royaume. et de même que ce jour-là il a envoyé ses disciples travailler à l’édification du Royaume, de même, il nous envoie aujourd’hui encore poursuivre la construction de ce royaume. St Paul dira plus tard : Le Seigneur a fait de nous des êtres nouveaux en Jésus Christ, en vue des œuvres bonnes qu’il avait préparées à l’avance pour que nous les accomplissions. (Eph. 2,10)
On voit par-là combien Pâques, la Résurrection,ce n’est pas une sorte de happy end, le dernier épisode d’une histoire qui finirait bien, mais le commencement d’une nouvelle étape dans l’histoire du salut et combien la résurrection du Christ n’est pas une péripétie qui ne concernerait que la personne de Jésus seulement mais un évènement qui atteint tous ses disciples
Nous ne pouvons pas dire : le Christ, lui, un juste qui est passé en faisant le bien, soulageant toutes les misères physiques ou morales, qu’il soit ressuscité, c’est très bien, tant mieux pour lui ! mais pour nous, ça ne change rien. La résurrection du Christ a un impact énorme sur notre destinée. D’abord elle est la source et le gage de notre propre résurrection puisque nous sommes promis comme lui à ressusciter après notre mort et à entrer dans une vie nouvelle, éternelle celle-là, ainsi qu’il l’affirme solennellement à plusieurs reprises dans l’évangile Je suis la Résurrection et la Vie, celui qui croit en moi, même s’il meurt vivra et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. (Jean 11,25,26) Et ce n’est pas seulement après notre mort que la résurrection du Christ impacte notre destinée. Depuis le jour de notre baptême nous avons en nous la vie du Christ. Mais de quel Christ exactement ? Non pas la vie du petit Jésus de Bethléem, ni la vie du Christ parcourant la Palestine en prêchant l’évangile, mais la vie du Christ mort et ressuscité Et cette vie du Christ ressuscité qui a triomphé du péché, du mal et de la mort nous donne la force de réaliser la mission que le Seigneur nous confie : poursuivre la construction du Royaume. A nous de développer cette vie jour après jour, jusqu’au jour de notre mort. A ce moment-là, le Seigneur rendra à chacun selon sa conduite. (Mt.16,27) Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour une résurrection qui mène à la vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection qui mène au jugement. (Jean 5,29)
Alors quoi faire ? Deux tentations sont à éviter. La première, c’est de se dire : l’important, c’est la vie éternelle il faut s’en occuper activement et ne pas se soucier de la vie d’ici-bas. Dans la toute première génération des chrétiens, certains, persuadés de l’imminence du retour du Seigneur, non seulement vendaient leurs biens et distribuaient aux pauvres le produit de ces ventes, comme la première lecture nous le rapporte, mais ils cessaient de travailler, si bien que St Paul est obligé de réagir et dans sa 2°épitre aux Thessaloniciens il exhorte fermement tout le monde à travailler, allant jusqu’à dire : celui qui ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus (3,10). Mais et c’est la deuxième tentation que nous devons affronter, et qui malheureusement entraîne beaucoup de nos contemporains, on se dit que la vie éternelle c’est bien loin, donc pas la peine de s’occuper de ça, et on ne s’occupe plus que de l’immédiat, on s’abrutit dans le travail, la passion de l’argent jusqu’à compromettre sa santé et son équilibre personnel, pensez aux « burn-outs », qui touchent même un certain nombre de cadres, la vie des familles est ébranlée : dans certains foyers, on se croise dans l’escalier le soir, l’un rentre du travail, l’autre part pour son travail de nuit. C’est le prix à payer si on veut acheter une nouvelle voiture et partir en vacances. Le résultat, c’est que personne n’est heureux de la vie qu’il mène et de plus en plus, on cherche désespérément à s’évader. D’où par exemple, la consommation de drogue en augmentation incessante. Pâques et la résurrection du Christ viennent nous secouer, nous sortir de notre abrutissement, nous rappeler la réalité et l’envergure de notre destinée d’éternité.
Il nous envoie continuer son œuvre c’est-à-dire construire le royaume. Or construire le royaume, ce n’est pas de s’occuper des choses du ciel sans s’occuper des choses de la terre, ni s’occuper des choses de la terre sans s’occuper des choses du ciel. C’est sur la terre que ce royaume est à construire. Il s’agit donc de s’occuper sérieusement des choses de la terre, non pas dans la perspective de faire du fric n’importe comment et par tous les moyens mais dans le but de mettre plus de justice de paix et d’amour ici-bas. Il s’agit de s’occuper des choses de la terre avec en ligne de mire celles du ciel. Les cathédrales ne sont pas construites avec des pierres surnaturelles. Un tas de pierres ordinaires et du ciment ordinaires utilisés dans un certain ordre se sont transformés en cathédrales. Que faisons-nous des pierres banales de notre vie quotidienne ? Des tas de pierres posées les unes à côté des autres ou en faisons-nous des cathédrales ?
Que retenir de tout cela ?
Pâques, la Résurrection, ce n’est pas une sorte de happy end, le terme d’une histoire qui finirait bien, mais le commencement ; le départ d’une nouvelle étape dans l’histoire du salut, de la construction du Royaume auxquelles nous sommes envoyés travailler.
Comme le Christ a soufflé sur les apôtres, leur insufflant sa vie nouvelle de ressuscité vainqueur du mal, du péché et de la mort, il nous a donné le jour de notre baptême cette vie nouvelle qui nous rend capables de construire le Royaume, malgré notre faiblesse.
Que devons-nous faire pour construire ce Royaume ? Rien d’extraordinaire, simplement agencer les pierres ordinaires de notre vie quotidienne dans un certain ordre. Chaque fois que nous en soulevons une pour la mettre quelque part, tournons-nous vers le Seigneur pour lui demander si c’est bien comme ça qu’il veut que nous fassions. Demandons-lui de mettre son « ordre » dans nos esprits et nos cœurs. Alors, des pierres banales de nos vies quotidiennes, nous bâtirons, nous aussi des cathédrales pour le Royaume.