(Isaïe 6,1-2a,3-8) (1 Cor.15, 1-11) (Luc 5,1-11)
Quand Jésus eut fini de parler, il dit à Pierre : Avance au large et jetez vos filets pour la pêche. Or de jour, le poisson s’enfonce dans les profondeurs, on n’a aucune chance de prendre quoi que ce soit, tandis que de nuit, le poisson remonte et se prend dans les mailles des filets tendus en rideau à partir de la surface.. C’est pourquoi St Pierre, qui connaît son métier, répond à Jésus : Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre. Sous-entendu : au moment où toutes les conditions sont réunies pour faire une bonne pêche, maintenant, ce n’est plus le moment. Mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. Il était sceptique sur ses chances de prendre quelque chose et le reste de l’équipage avec lui. Or voilà que contre toute attente, ils pêchent une telle quantité de poisson que les filets risquent de se rompre. Aussitôt Pierre pare au plus pressé, il appelle au secours ses compagnons de l’autre barque et ils répartissent la pêche dans les deux embarcations. Devant cette pêche non pas exceptionnelle mais véritablement inexplicable, Pierre, bouleversé et même saisi d’effroi, découvre la puissance divine de Jésus et tombant aux pieds de Jésus, lui dit : Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. Mais Jésus, loin d’enfoncer Pierre dans son sentiment d’indignité, le relève au contraire : Ne crains pas, désormais ce sont des hommes que tu prendras. Il le dira plus tard : Celui qui s’abaisse sera élevé. (Luc 18,14)
Mais est-ce que Pierre s’abaisse ? Oui, d’ailleurs il s’agenouille aux pieds de Jésus. Mais d’un autre côté, non, il ne s’abaisse pas, il ne fait que dire les choses telles qu’elles sont : Jésus est saint et lui, Pierre, est pécheur. C’est ça l’humilité. Contrairement à ce qu’on pense bien souvent, l’humilité ne consiste pas à se rabaisser, c’est juger la réalité telle qu’elle est, sans la déformer en bien ou en mal. Le mot humilité vient du latin humus : le sol. Quelqu’un qui est humble c’est quelqu’un qui a les pieds par terre, qui est réaliste. Quand le Seigneur voit quelqu’un reconnaître la vérité, telle qu’elle est : moi je suis pécheur et toi Seigneur, tu es saint, alors il est tout heureux de le relever. Jamais il ne cherche à enfoncer, à condamner le pécheur, toujours il cherche à le relever.
Les contemporains de Jésus ne comprenaient pas cette manière de faire. Nous aussi aujourd’hui, nous avons du mal à comprendre ce parti pris de miséricorde du Christ pour les pécheurs, Il était toujours fourré avec les pécheurs. Il ne les aimait pas parce qu’ils étaient pécheurs, mais il aimait que ces pécheurs enfoncés dans leur péché s’en sortent : je vous le dis, il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion. (Luc 15,7) Quand il voit que Pierre reconnaît être pécheur, non seulement il ne le condamne pas, mais il le relève Ne crains pas, désormais ce sont des hommes que tu prendras.
Pierre et ses compagnons ramenèrent alors les barques au rivage et laissant tout, ils le suivirent. Ils ont été profondément bouleversés par cette pêche miraculeuse, c’est sûr, mais il est tout de même étonnant qu’ils se soient décidés aussi soudainement. Ils étaient installés dans la vie. Ils avaient une famille, des amis, un métier, une barque, des filets. Qu’est-ce qui leur est arrivé pour que, d’un seul coup, ils lâchent tout pour suivre Jésus ? Il faut que ce qui vient de se passer les ait complètement retournés. Celui qui est appelé par le Seigneur est retourné par une parole qui l’a touché au plus profond de lui-même et s’impose en faisant s’estomper tout le reste et tout d‘un coup il devient évident : c’est ça qu’il faut que je fasse, c’est ça que je dois faire. C’est exactement cela une vocation. Il n’y a pas de phénomène extraordinaire, d’apparition ou de miracle, mais quelque chose, un évènement, une parole vous atteint au plus profond et s’impose. On se sent invité à prendre une certaine orientation de vie. On peut délibérément décider de ne pas y faire attention, alors l’appel disparait. Ou bien on y prête attention et l’appel devient de plus en plus net et pressant. Jérémie disait : Tu m’as séduit Yahvé et je me suis laissé séduire. (Jer.20,7)
On n’a pas vu que cela venait de Dieu. On croit que c’est une idée parmi d’autres qui nous est passée par la tête, et on n’y prête pas attention; C’est là le cœur de la crise des vocations. Nous prions : »Seigneur, envoie nombreux des ouvriers à ta moisson, » il faudrait prier : »Seigneur ouvre nos oreilles et nos cœurs pour que nous reconnaissions ton appel.
Mais pourquoi le Seigneur est-il allé chercher ses apôtres parmi les pêcheurs du lac, des gens peu instruits, (on pense que St Pierre ne savait ni lire ni écrire,) alors qu’il y avait des hommes certainement plus aptes à devenir ses apôtres, plus instruits des choses de la religion, comme les prêtres, les scribes, les lévites, les docteurs de la Loi par exemple ou encore comme les pharisiens qui étaient des pratiquants fervents ? St Paul écrira plus tard aux Corinthiens : Considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de gens puissants…Où est-il le sage, où est-il l’homme cultivé, où est-il le raisonneur d’ici-bas ?…Mais ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce qu’il a choisi pour confondre les forts, ce qui dans le monde est sans naissance et que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi. (Cor.1, 26) C’est que Jésus n’aimait pas la suffisance affichée par trop de prêtres et de membres du milieu clérical de son époque. Non seulement ils se jugeaient éclairés mais ils se prétendaient justes et se montraient méprisants vis-à-vis des autres. Devant Dieu, personne n’est juste. Nous sommes tous pollués par l’orgueil, l’égoïsme, l’envie etc. et ce qu’il peut y avoir de bien nous vient de Dieu, seule source de bien dans le monde. St Paul le répète constamment Ce que je suis, je le dois à la grâce de Dieu (1Cor.15,) C’est de Dieu que vient notre capacité (2Cor.3,5)
C’est pour cela que le Christ veut former lui-même ses apôtres. Dans les passages parallèles de l’évangile d’aujourd’hui en St Marc et St Mt., le Seigneur le dit explicitement : Je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. (Marc 1,17) (Mt.4,19) . Personne n’est jamais à la hauteur pour être apôtre de Jésus Christ. Les études, les diplômes en philosophie, en théologie, ou en n’importe quoi, ça ne fait pas le poids, jamais. Je ne veux pas dire que l’expérience, les études, la philosophie, la théologie, tout ça ne sert à rien et qu’il suffit d’un peu de piété, de dire son chapelet ou son bréviaire pour être un apôtre de Jésus Christ. La piété ne dispense pas d’être intelligent. Je veux dire que c’est le Seigneur qui agit à travers les formations, les études, les diplômes de philosophie et de théologie. C’est seulement son Esprit qui peut féconder nos études, nos réflexions et nos expériences. St Paul écrira plus tard aux Ephésiens. Nous sommes l’œuvre de Dieu, il a fait de nous des êtres nouveaux en Jésus Christ , en vue des œuvres bonnes qu’il avait préparées à l’avance, pour que nous les accomplissions (Eph.2,10)
Que retenir de tout cela ?
Derrière le miracle de la pêche miraculeuse que nous rapporte l’évangile d’aujourd’hui, il y a un autre miracle, c’est la transformation opérée par Jésus dans le cœur de ces modestes matelots qui, sans hésiter, ont tout largué pour se mettre à sa suite et devenir les audacieux apôtres que nous connaissons. Ils ne s’y attendaient pas. Ils étaient venus là simplement pour écouter un beau prêche. Le Seigneur les a emmenés beaucoup plus loin qu’il n’ avaient prévu. Aujourd’hui, nous aussi nous sommes là venus seulement écouter une bonne parole. Méfions-nous ! La même chose pourrait nous arriver. Le Seigneur pourrait bien nous appeler et nous emmener plus loin que nous n’avons prévu. Sommes-nous prêts à le suivre ?