Dimanche  8  Octobre   2023

A travers cette parabole, ce sont les grands prêtres et les anciens qui sont visés, ainsi que tous ceux  qui refusent d’entendre la parole du Christ. Quand ce dernier parle des serviteurs du Maître qui sont frappés, lapidés ou  tués, ses auditeurs comprennent tout de suite qu’il fait allusion aux prophètes que leurs ancêtres ont martyrisés. D’ailleurs il leur dira un jour ouvertement : Vous êtes les fils de ceux qui ont assassiné les prophètes et les justes, depuis Abel jusqu’à Zacharie que vous avez assassiné entre le trône et l’autel (Mt.23,35). Et après leur avoir rappelé la prophétie du Ps.118 : la pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle, c’est-à-dire : moi, que vous rejetez, me voici devenu la pierre d’angle du royaume, il leur donne le coup de grâce : Je vous le dis : le royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. Autrement dit:vous qui deviez être les premiers citoyens du royaume puisque Yahvé  a fait alliance  avec Abraham, votre ancêtre, vous  qu’il  a formés ensuite par toute une série de sages et de prophètes, en refusant aujourd’hui de recevoir ma parole, vous vous excluez du royaume qui,  dorénavant, est offert à tous ceux qui accueilleront cette parole, quels que soient leur race et leur pays d’origine. Evidemment les grands prêtres et les anciens sont profondément humiliés  et vexés par ces déclarations de Jésus.

Nous autres actuellement, nous sommes  cette nation composée d’hommes de toutes races et de tous pays à qui est offert l’accès au royaume. Le Seigneur s’est révélé à nous à travers l’Ecriture, l ’Eglise et les sacrements. Mais que veut-il dire lorsqu’il  déclare que la nation à qui le royaume est offert aura à produire des fruits ? Il veut dire que nous n’avons pas accès à un  royaume déjà constitué, mais que nous avons à construire ce royaume. Il nous donne la vie, l’intelligence, des talents, il nous place  quelque part dans l’univers pour bâtir, là où nous sommes, le royaume, c’est-à-dire pour transformer un monde plein de violence et d’injustices  en un royaume  où  règnent la paix, la justice, la charité. L’évangile d’aujourd’hui nous rappelle la dignité  de notre vocation, l’ étendue de nos responsabilités, la grandeur de notre tâche. J’ai peur que bien souvent nous oubliions cette dimension de notre existence. Nous nous enfermons dans un monde étriqué comme tous ces honnêtes gens que nous rencontrons dans la rue, tenant leur tablette devant leur visage, ne voyant pas beaucoup plus loin que le bout de leur nez, c’est le cas de le dire. Nous ne voyons pas le sens devant Dieu de nos actions, par delà leur signification et leur portée immédiates. Chacun fait de son mieux pour assurer le bonheur des siens, bien élever ses enfants, leur procurer une bonne situation, ne faire de mal à personne, aider ses voisins, spécialement les personnes seules ou âgées. Tout cela est très bien. Il n’y a rien de mal. Sauf que nous menons notre vie comme si c’était une activité profane,  sans nous rendre compte qu’ à travers le travail de chaque jour, nous sommes  déjà en train de remplir une tâche que le Seigneur nous a confié et  de construire le royaume.

     Oubliant que je suis envoyé construire le royaume, je crois être un travailleur  indépendant, patron de son affaire, un entrepreneur établi à son compte. Ma famille, ma profession, je crois c’est mon petit business, une activité profane, alors que ce sont là des responsabilités que me confie le Seigneur. Le maître de la moisson, le maître du royaume, je n’ai rien contre. Bien au contraire, je lui demande de bénir mes efforts et de m’accorder sa grâce afin que mon  petit business marche le mieux possible et que ma volonté soit faite avec le moins d’ennuis possibles. Mais   ne voyant  que le sens immédiat de ce que je fais, j’oublie que tout travail  humain est collaboration  à la création et développement de cette création. Un gamin qui apprend à lire à l’école, il développe l’intelligence que Dieu lui a donnée, un chercheur qui découvre un nouveau médicament, la maîtresse de maison qui gère son foyer, le médecin qui soigne des malades, l’architecte qui construit un bâtiment, l’employé municipal qui vide les poubelles, tous ceux grâce à qui l’eau coule aux robinets et  le courant électrique arrive dans chaque maison et jusqu’à ce micro devant moi, ils contribuent à faire que le monde du Bon Dieu tourne plus rond.  Et je ne vois pas non plus que mon métier quel qu’il soit  comporte toujours un service des autres, que je sois pharmacien, curé, boulanger, ingénieur ou chauffeur de bus. Or ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous l’aurez fait (Mt.25,40).

Cela veut dire que travailler à la vigne, construire le royaume, ce n’est pas faire des choses en plus, en dehors  de celles que nous faisons. C’est dans  ce que nous faisons déjà, à travers nos travaux quotidiens que nous travaillons à la vigne, que nous construisons le royaume. Mais nous n’en avons pas conscience. Nous sommes comme ces ouvriers d’un chantier naval dont parle Saint Exupery. Myopes et le nez contre, dit-il, ils ne voient pas le but final de leur travail Le charpentier te parle de ses planches, le cloutier te parle de ses clous, le voilier te parle de ses voiles et tous oublient la mer. Myopes et le nez contre, ils ne voient qu’un tas de planches, un tas de clous, un tas de voiles et ils ne voient pas qu’ils sont en train de construire un bateau qui bientôt va naviguer sur la mer.

Voyez dans l’évangile, comment le Christ parlant du jugement dernier, décrit les choses Alors le roi dira à ceux qui sont à sa droite : Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous… parce que vous  avez fait vos prières, parce que vous êtes allés à la messe, le dimanche ? Non Mais parce que j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire etc……Alors les justes lui répondront Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir  affamé et de te nourrir, assoiffé et de te donner à boire ?(Mt.25,34…) Myopes et le nez contre, ils n’auront pas vu qu’ils travaillaient à la vigne, qu’ils construisaient le royaume avec ce pain et cette boisson partagés. Ils  n’auront pas vu que le pain et la boisson partagés n’étaient pas des trucs profanes. Ils n’auront pas vu que le pain et la boisson partagés étaient tout imbibés et détrempés et resplendissants de charité. Ils n’auront pas vu que ce pain et cette boisson partagés, d’une valeur de quelques euros avaient une valeur autrement plus grande aux yeux de Dieu.  Et nous aujourd’hui nous ne sommes pas plus malins. Nous n’arrivons toujours pas  à voir la valeur devant Dieu des travaux que nous appelons bêtement matériels ou profanes.

Que retenir de tout cela ?

Cette parabole que nous venons d’entendre nous rappelle que nous sommes tous appelés à travailler à la vigne du Maître, à construire le royaume, c’est-à-dire à transformer notre monde rempli d’injustices, de conflits et de haine en un monde où règnent la paix, la justice et  la charité.

                                         Alors que faut-il faire ? Rien. Rien d’autre que ce que nous faisons tous les jours, mais le faire autrement, en voyant au-delà du sens immédiat de ce que nous faisons, le sens et la valeur devant Dieu de nos gestes.  Quel que soit notre travail, ce travail contribue à étendre, à développer la création et permet au monde du Bon Dieu de tourner un peu plus rond. Sans compter que tout travail comporte toujours une part un service des autres. Et ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait.

Nous ne sommes pas n’importe qui. Nous sommes des collaborateurs de Dieu. Et, disait je ne sais plus qui,  si noble est le poste   que Dieu nous a confié, qu’il ne nous est pas permis de déserter.