(Sag.9,13-18) (Ep. à Philémon,9b-10.12-17) (Luc 14,25-33)
Dans cet évangile, le Seigneur expose les exigences requises pour se mettre à sa suite. Il faut le préférer à tout, le faire passer en premier, toujours. Jeanne d’Arc disait : Messire Dieu, premier servi ! Celui qui veut se mettre à la suite du Christ doit le faire passer avant tout, avant tous ceux qu’il aime, même les plus chers, comme ses parents, son mari, sa femme, ses enfants. Il faudra aussi qu’il se renonce, qu’il renonce à ses projets à lui, à ses désirs à lui, pour faire passer d’abord la volonté du Seigneur. Ce ne sera pas facile. Certes, on comprend de telles exigences : quand on aime quelqu’un, on le fait passer avant soi. On ne rejette pas les autres pour autant, mais on les aime moins. Aimer Dieu par-dessus tout n’empêche pas qu’on aime aussi sa femme, son mari ses enfants etc. Simplement tout autre amour doit être subordonné et en harmonie avec l’amour de Dieu. Tout cela est clair dans notre tête. Mais cela reste difficile à vivre au quotidien. D’autant plus qu’on ne voit pas toujours très clairement qui est le Seigneur, ni ce qu’il veut.
Sans oser le dire tout haut, nous ne croyons pas vraiment que Dieu est un père qui a des projets précis pour chacun de ses enfants, nous le voyons plutôt comme une sorte de super PDG, très bienveillant certes, mais qui ne peut pas connaître personnellement chacun des employés de son énorme multinationale, s’intéresser et avoir des projets précis pour chacun d’eux. Mais si nous ne voyons pas clairement qui est Dieu, comment pourrions-nous le mettre avant quiconque ? Et si nous ne voyons pas clairement ce qu’il attend de nous concrètement dans notre vie quotidienne, comment pourrions-nous faire passer ses projets avant les nôtres ?
Connaître Dieu et sa volonté, nous ne pourrons jamais y arriver. Notre intelligence est trop courte. Dieu, l’au-delà de tout, est hors de notre atteinte. Mais c’est lui qui va s’approcher de nous, se faire connaître et faire connaître sa volonté en même temps. Cette Loi que je te prescris aujourd’hui, elle n’est pas au-delà de tes moyens ni hors de ton atteinte dit le livre du Deutéronome, qu’il te faille dire : qui montera pour nous aux cieux, que nous l’entendions pour la mettre en pratique… la Parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique. (Deut.30,11-12,14) Non seulement il s’approche de nous pour se faire connaître, mais il entre dans notre coeur: Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. (Jer.31,34) Du fait qu’il entre dans notre cœur, la connaissance de Dieu devient plus qu’une connaissance pour l’esprit parmi d’autres, mais une véritable co-naissance avec lui, une expérience de lui.
Mais pour cela, pour que Dieu entre en nous, il faut faire place nette, il faut faire le vide. C’est-à-dire non seulement repousser au second plan ce qui fait obstacle pour faire passer au premier plan la volonté de Dieu, mais il faut encore que nous écartions complètement nos projets personnels, que nous renoncions à nos projets, pour adopter les siens, il faut que nous soyons persuadés que ce qu’il veut pour nous est meilleur que ce que nous voulons pour nous. C’est seulement à ce moment là que nous pourrons dire en toute sincérité, lorsque nous récitons le Notre Père : Que ta volonté soit faite, Mais, j’en ai peur, est-ce que, lorsque nous prions, les trois quarts du temps, nous ne demandons pas à Dieu son aide pour que nos désirs à nous se réalisent, pour que notre volonté à nous soit faite ? Certes nous prions avec confiance, persuadés que le Seigneur veille sur nous et qu’il est toujours prêt à nous secourir en cas de nécessité. Nous croyons, nous avons confiance que le Père sait de quoi nous avons besoin, avant même que nous le lui demandions (Mt.6,8)mais en attendant nous n’avons en vue que nos projets à nous, nos désirs à nous et pas tellement ceux du Seigneur ; il faudrait que nous en arrivions à penser et à dire comme Ste Thérèse de Lisieux : C’est ce qu’l veut que j’aime le mieux !
Et le Christ poursuit dans l’évangile : celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à sa suite ne peut être mon disciple. Qu’est-ce que cela veut dire exactement ? Le Christ ne va tout de même pas demander à ses disciples de vivre un calvaire permanent, de s’engager dans une vie de souffrances ininterrompues. Mais est-ce que porter sa croix veut dire souffrir ? Le Christ en croix souffre, les deux voleurs crucifiés en même temps que lui souffrent aussi, mais ce n’est pas la même souffrance. Les voleurs souffrent d’une souffrance qui leur est imposée de force, contre leur gré. Le Christ lui souffre d’une souffrance qu’il a acceptée et même voulue par amour pour nous. Les deux voleurs subissent le supplice de la croix, le Christ s’offre librement au supplice de la croix et à la mort, par amour pour nous. Ma vie, nul ne me l’enlève, je la donne de moi-même. (Jean 10,10) dit-il en St Jean. La croix pour les deux voleurs c’est un supplice, c’est de la souffrance. La croix pour le Christ c’est de l’amour, un amour poussé jusqu’à l’acceptation de la souffrance et de la mort. Quand le Christ nous demande de porter notre croix, il ne nous demande pas de souffrir, il nous demande d’aimer jusqu’à accepter de souffrir. Porter sa croix ne veut pas dire souffrir, cela veut dire aimer jusqu’à accepter de souffrir pour ce qu’on aime. Et c’est quand on accepte de souffrir pour ce qu’on aime qu’on peut dire, sans se faire illusion, qu’on aime vraiment.
Jésus termine son enseignement aujourd’hui par un raisonnement qui n’est pas très logique. Il commence par dire : quand on veut construire une tour, il faut d’abord entreprendre de réfléchir pour voir si on a les moyens de mener son projet jusqu’au bout. On s’attendrait donc à ce qu’il ajoute : ainsi donc si vous voulez vous engager à ma suite, voyez si vous avez les moyens de mener votre projet à terme. Eh bien pas du tout. Il termine son discours en réaffirmant : Ainsi donc, celui qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple. Pourquoi ?
Tout simplement parce qu’on n’a jamais ce qu’il faut pour se mettre à la suite du Seigneur, donc inutile de perdre son temps pour constater qu’on n’a pas les qualités nécessaires et s’en désoler. D’autre part il est intéressant de remarquer que lorsqu’il appelle ses disciples, il ne leur demande pas s’ils ont les qualités nécessaires pour le suivre, il leur dit simplement je ferai de vous des pêcheurs d’hommes. (Marc 1,17) Autrement dit : Contentez-vous de laisser vos barques et vos filets, le reste, je m’en charge. Donc pour nous aujourd’hui, inutile de nous torturer pour voir si nous avons les qualités nécessaires pour être de bons chrétiens et nous désoler de constater que nous ne les avons pas ! Il suffit que nous laissions nos filets, nos idées, nos projets et nos craintes et pour le reste, laissons le Seigneur agir, faire de nous ses disciples.
Que retenir de tout cela ?
Pour être disciple du Christ il faut l’aimer plus que tout. Tel est le message de l’évangile d’aujourd’hui. Et l’amour se vit dans le service, le renoncement et le sacrifice. Il ne faut pas le nier. Mais ce n’est pas un supplice pour autant. Jamais on ne dira d’une maman qui vient de mettre au monde son enfant : la pauvre ! qu’est-ce qu’elle va se payer comme couches à laver et comme nuits sans dormir pour bercer son petit ! Ce serait de mauvais goût…Il ne faut pas cacher la nécessité des renoncements qui s’imposent à quiconque essaye d’être un disciple du Christ mais il y a de l’indécence à trop en parler. Le renoncement n’est jamais autre chose que l’envers de l’amour Puisse le Seigneur nous donner de l’aimer davantage. Alors nous viendrons à bout de tous les renoncements que demande l’amour, sans nous croire obligés pour cela de jouer aux martyrs et d’arborer des têtes de carême sans Pâques, comme disait le pape François.