Dimanche 7 mai

5ème Dimanche du temps pascal – Année A – Jn 14, 1-12

« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. »

Nous sommes le Jeudi Saint au soir. L’atmosphère est lourde. Les apôtres sont tristes et inquiets. Après leur avoir annoncé la trahison de Judas, voici que Jésus leur déclare qu’il va partir pour une destination où ils ne peuvent le suivre « là où je vais, vous ne pouvez pas venir » A la tristesse que leur cause l’annonce d’une séparation imminente, s’ajoute une certaine déception : ils espéraient que ce serait lui qui délivrerait Israël de l’occupation romaine et lui rendrait son indépendance politique et sa grandeur, mais tout indique qu’il n’en est pas question. Jésus tente de les réconforter :« Que votre coeur ne se trouble pas ! » « Je pars vous préparer une place mais je reviendrai et je vous emmènerai afin que là où je suis vous soyez, vous aussi.Pour aller où je suis, vous connaissez le chemin »……. « Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie ».  Mais cela n’apaise pas les apôtres. Ils ne veulent pas que le Christ s’en aille. Ils sont tellement heureux d’être  avec lui, d’écouter son enseignement, d’être témoins de ses miracles. Ils voudraient que cela dure toujours. Pourquoi partir on ne sait où, même si c’est pour s’y retrouver avec lui ? Ce que les apôtres aimeraient, c’est que le Christ reste avec eux, là où ils sont, mais pas qu’il les emmène ailleurs.

Nous autres aujourd’hui, nous avons souvent la même attitude que les apôtres. Nous sommes attachés au Seigneur, nous avons confiance en lui, nous l’aimons pour tout ce qu’il nous apporte et nous souhaitons qu’il nous aide toujours davantage dans nos difficultés,  mais nous n’allons pas jusqu’à vouloir et aimer ce qu’il veut pour nous. Comme les apôtres, nous voudrions le confiner dans nos projets, mais nous ne sommes guère ouverts aux siens.  Quand nous l’entendons nous dire : « Je vais vous préparer une place…et là où je suis, vous serez vous aussi », nous sommes troublés et même  inquiets. Les perspectives de l’au-delà ne font pas partie de nos préoccupations courantes. Tous les jours nous avons à faire face à des obligations qui ne peuvent pas attendre :  soucis de santé, contrariétés avec les enfants ou les petits enfants qui n’évoluent pas toujours comme on le souhaiterait, problèmes professionnels.  La vie moderne nous entraîne dans   un rythme de plus en plus accéléré, dangereux pour  notre santé, notre équilibre psychologique personnel et familial. Enfermés dans l’instant, dans l’immédiat, notre horizon  bouché, nous empêche de voir plus loin.  Avez vous remarqué le nombre de personnes qui vont,  affairées, une tablette devant le visage, ne voyant pas beaucoup plus loin que le bout de leur nez, c’est le cas de le dire ?

Et voilà que l’évangile tout-à-coup nous rappelle que la vie ne consiste pas seulement à faire le plus de choses possibles, le plus rapidement possible, mais   que la vie a un sens, que nous sommes sur une trajectoire, que ça vient de quelque part et que ça va quelque part. Le Seigneur nous sort de notre engourdissement pour nous rappeler que de tout façon ça va se terminer par le retour à la maison du Père. Cela nous secoue un peu. Mais savoir où on va, ce n ‘est pas une catastrophe, au contraire. Et bien, maintenant que nous savons où nous allons, il va falloir garder le bon cap et veiller à ce que nos multiples activités ne nous entraînent pas dans toutes les directions. Il s’agit de faire que  notre vie de famille,notre travail, nos activités,  tout ça,  soit vécu en relation, en fonction et compte tenu du but final de notre vie qui est le retour à la maison du Père.

Concrètement comment faire pour que notre travail, nos activités soient vécus  en relation, en fonction et compte tenu du but final de notre vie qui est le retour à la maison du Père ? La plupart du temps nous  pensons que le travail  c’est quelque chose qui nous coupe de Dieu. C’est  complètement faux .C’est vrai que quand on travaille on n’a pas le temps de penser à Dieu ou de  prier. Pourtant quand y regarde de près, on s’aperçoit  que le travail, peut aussi être un moyen de rejoindre Dieu et de rester uni à lui, comme la prière, mais autrement. Pourquoi ?  Parce que le travail nous permet de répondre à la vocation à laquelle le Seigneur nous a appelés. Grâce à son salaire, fruit  de son travail, le père de famille subvient aux besoins de ceux que Dieu lui a confiés.  D’autre part, le travail, quel qu’il soit, est toujours un service des autres . Le commerçant dépanne les familles du voisinage, l’instituteur éduque les enfants du quartier, le médecin   soigne les malades, la femme au foyer prépare les repas de tous les membres de la famille, l’entreprise de bâtiment en construisant une maison va faire le bonheur de ceux qui vont l’habiter, Or, « ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez » (MT.25,40). De plus quand nous travaillons  nous utilisons et développons  les talents qu’il nous a donnés : le courage, l’intelligence etc.,  Et puis surtout notre travail, quel qu’il soit peut contribuer au développement et à l’extension de la création : les maçons qui construisent un logement, quand il est achevé, il y a là quelque chose qui n’était pas là auparavant, les jardiniers de la commune qui plantent des massifs de fleurs à travers la ville, tous développent et améliorent la création du Bon Dieu. C’est donc une complètement faux de croire  que la prière est  le seul moyen de s’unir à Dieu et d’être en communion avec lui. D’ailleurs le Seigneur nous  met  en garde  cette illusion « il ne suffit pas de me dire Seigneur ! Seigneur ! pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut faire la volonté de mon Père » (Mt.7,21) « Quoi que vous fassiez, faites le pour la gloire de Dieu » nous recommande St Paul (2Cor.10,31). Mais pour cela encore faut-il  que nous gardions présent à l’esprit  le but final final de nos actions  et de notre vie. Tout est là.

Car le travail qui peut et doit nous unir à Dieu et nous maintenir en communion avec lui, peut aussi  nous éloigner de Dieu et même nous couper de lui, si nous oublions le but final de notre existence Par exemple quand on se lance frénétiquement dans le travail  uniquement dans le but de gagner de l’argent par tous les moyens,  même en volant et en exploitant les autres, ou quand on fabrique des engins de destruction et de mort. Le travail des hommes, qui peut contribuer au développement et au progrès de la création, peut tout aussi bien contribuer à sa destruction. On peut planter des parterres de fleurs, ou semer des tapis  de bombes.

Le tout est de faire que notre travail,  nos activités ne nous coupent pas   de notre but final, mais qu’ils soient faits en fonction , en relation et compte tenu du but final de notre vie,   vers lequel nous avançons jour après jour. Cela me fait penser aux hommes   de quart que je voyais dans la passerelle d’un  chalutier sur lequel je m’étais embarqué pour une campagne de pêche. J’étais surpris et presque choqué de voir qu’ils causaient tranquillement, tout en fumant leur cigarette et en écoutant distraitement France Musique, apparemment très détendus, mais en y regardant de plus près, je me suis aperçu qu’ils ne quittaient des yeux  la boussole et que toute leur attention restait  concentrée sur le cap à tenir.

Que retenir de tout cela ? 

« Je pars vous préparer une place….afin que là où je suis, vous soyez vous aussi », nous dit le Christ dans l’évangile d’aujourd’hui. Bousculés par le tourbillon de nos activités, entraînés  par le rythme trépidant de la vie moderne, préoccupés par tout ce qu’il faut faire immédiatement, sans attendre, nous risquons de nous enfermer dans un présent étroit qui bouche notre horizon et nous empêche de voir plus loin. L’ évangile aujourd’hui nous rappelle que le terme de notre vie, c’est le retour dans la maison du Père. Que nous le voulions ou non, que nous y pensions ou non, nous avançons chaque jour vers la maison du  Père. Il faudrait voir à garder le cap. A chacun de voir : je navigue ou je dérive ?