Genèse (2,18-24) Hébreux (2,9-11) Marc (10,12-16)
Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. Difficile d’accepter cette parole. De nos jours, lorsqu’un homme et une femme se marient, ils considèrent que c’est leur choix, leur décision. Ils acceptent de bonne grâce les félicitations et les vœux de bonheur de leurs parents et amis mais n’aiment pas beaucoup qu’on interfère dans leur décision Leur mariage, c’est leur affaire à eux, leur volonté à eux. S’ils sont chrétiens ils acceptent volontiers que le Seigneur bénisse leur union, parfois même ils vont jusqu’à reconnaître que c’est Dieu qui a mis leur fiancé(e) sur leur chemin, Mais est-ce qu’ils croient vraiment que c’est Dieu qui les a unis ? J’en doute fort.
Et pourtant…On pense généralement que c’est l’amour qui est à la base de l’union des conjoints dans le mariage. Or il n’y a qu’une seule source d’amour dans le monde, c’est Dieu. Donc c’est bien Dieu qui unit les conjoints, puisque l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre ne peut venir que de lui. Mais encore faut-il que les mariés s’aiment d’amour.
Car on peut aimer quelqu’un sans l’aimer d’amour. Il y a de tas de gens qu’on aime bien sans les aimer d’amour. On goûte, on apprécie les qualités, les talents, ses capacités d’une personne, il est sympathique, on l’aime bien, sans plus. Je peux aimer le général de Gaulle, pour sa personnalité et son génie politique ou Kylian Mbappé pour son adresse au football, il n’y a pas d’amour là-dedans !
Et surtout, en toute bonne foi, on peut prendre pour de l’amour les sentiments sincères, l’attachement profond qu’on a pour quelqu’un. C’est ainsi que dans beaucoup de films, de romans ou de chansons, l’amoureux c’est une personne qui a très envie de l’autre à qui elle déclare avec une entière sincérité: « je ne peux pas vivre sans toi » ou « j’ai besoin de toi ». Mais où est l’amour de l’autre là-dedans ? Quand je dis « j’ai besoin de toi, je ne peux pas vivre sans toi », ce n’est pas toi que j’aime c’est moi profitant de tes qualités. Des couples se forment ainsi, croyant s’aimer, en toute bonne foi, alors qu’il n’y a pas amour entre eux. Chacun prend plaisir à être en compagnie de l’autre, il apprécie son caractère, son physique, il prend plaisir à parler ou à travailler avec lui donc il pense : je l’aime. Oui, mais il ne l’aime pas d’amour ; d’ailleurs, ce n’est pas l’autre qu’il aime, mais lui jouissant des qualités, des talents, de la personnalité de l’autre. Souvent, au bout d’un certain temps, l’un des deux ou chacun des deux se rend compte que l’autre le consomme, le consume, le détruit et le couple se sépare. Il arrive aussi, grâce à Dieu, que le couple évolue et que les sentiments que chacun éprouve pour l’autre se transforment en véritable amour où chacun construit l’autre.
Qu’est-ce qu’il faut pour qu’il y ait amour ? Il faut que les sentiments, l’attachement, le désir que je peux avoir pour quelqu’un en arrivent à un point où je mets l’autre au-dessus de moi, je le fais passer avant moi. Or ceci est contraire à la psychologie humaine la plus élémentaire. Regardez un bébé dans son berceau : il attrape tout ce qui passe à portée de ses mains, même son pied et le porte à sa bouche. Par nous-mêmes, étant donnée notre psychologie, par nature, nous sommes centrés sur nous-mêmes, incapables de mettre quelqu’un au-dessus de nous, de le faire passer avant nous, de l’aimer d’amour. Autrement dit, l’amour n’est pas un sentiment humain. Pourtant nous arrivons à aimer d’amour. Autour de nous des couples s’aiment d’amour, des parents et des enfants s’aiment d’amour. Comment est-ce possible ? Il faut que l’amour que nous avons dans le cœur vienne d’ailleurs, d’au-dessus de nous. C’est Dieu, qui nous a créés à son image, qui nous rend capables
d’aimer. Quand dans un couple, un homme et une femme s’aiment, c’est que Dieu a donné à cet homme-ci un amour spécial pour cette femme-ci et à cette femme-là un amour spécial pour cet homme-là.1°) Le Christ peut donc dire à propos du mariage : ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. Il n’y a là rien de choquant. Et cela n’empêche pas chacun des époux de s’engager par une décision libre et personnelle.
2°) D’autre part il est juste de parler du mariage comme d’un engagement vocationnel comme le fait le pape François dans son exhortation apostolique La joie de l’amour. Le mariage est bien une vocation puisque le Seigneur en donnant à chacun des époux de s’aimer les appelle à cet engagement.
3°) Et enfin, puisque Dieu est à la base du mariage dans lequel s’engagent les époux, ils peuvent s’engager pour la vie, c’est du solide, cela ne repose pas sur des sentiments humains incertains et fluctuants, Dieu est derrière. Cela ne veut pas dire que tout sera facile. Car même si des époux ont dans le coeur un amour authentique venant de Dieu, chacun aura tous les jours à lutter pour se maintenir à ce niveau-là et persister à mettre l’autre avant lui chaque jour.
Maintenant supposons un couple tout à fait de bonne foi, qui se marie à l’église mais qui n’y voit pas très clair, il ne croit pas vraiment que l’amour qui les unit vient de Dieu et que leur mariage est un engagement vocationnel, Y a-t-il sacrement ? Non. Pour qu’il y ait sacrement, il ne suffit pas que les paroles sacramentelles soient prononcées : « Consentez-vous… ? J’y consens, » il faut qu’elles soient prononcées dans la foi et avec l’intention de faire ce que veut l’Eglise. Quand je célèbre la messe, lorsque, ayant l’hostie en mains , je prononce les paroles de la consécration, le pain devient corps du Christ. Mais si, ayant en mains mon trousseau de clefs, je prononce les paroles de la consécration, mon trousseau de clefs ne devient pas le corps du Christ. Et si ce couple qui s’est marié à l’église sans trop comprendre de quoi il s’agit, se sépare, y a-t-il divorce religieux ? Non, leur mariage était invalide. D’où la prise de position du pape François d’autoriser, après enquête, un certain nombre de divorcés à recevoir la communion. Il ne change rien à l’indissolubilité du mariage, mais il se trouve que certains mariages, quoique célébrés à l’église sont nuls, il n’y a pas eu sacrement. Le 16 Juin 2016, lors de l’ouverture du congrès ecclésial du diocèse de Rome, le pape François interrogé par des laïcs est allé jusqu’à dire : La grande majorité des mariages célébrés dans l’Eglise catholique sont nuls.(La Croix du lundi 15 Octobre 2018). Raison de plus pour nous de ne pas jamais juger et encore moins condamner des divorcés. Nous ne connaissons pas leur histoire. Et surtout il faut savoir que ceux qui se marient sans comprendre qu’il s’agit d’un engagement sacramentel, ne sont pas mariés selon ce que l’Eglise voit dans le sacrement de mariage.
Que retenir de tout cela ?
Il ne convient pas d’appeler amour n’importe quel attachement qu’on peut avoir pour quelqu’un. On peut aimer quelqu’un sans l’aimer d’amour. Quand est-ce qu’on aime d’amour ? Lorsque les sentiments qu’on a pour quelqu’un sont tels qu’on met ce quelqu’un au-dessus de soi, on le fait passer avant soi. Or ceci est contraire à la psychologie humaine la plus élémentaire. Par nature nous sommes centrés sur nous-mêmes. C’est pourquoi l’amour qui nous fait mettre un autre avant et au-dessus de nous-mêmes n’est pas un sentiment humain. C’est quelque chose que Dieu, seule source d’amour, nous donne. En nous créant à son image et en nous unissant à lui en Jésus Christ et par notre baptême, Dieu nous fait participer à son Etre d’Amour et nous rend capables d’aimer d’amour. C’est pourquoi le Christ peut dire tout-à-fait légitimement à propos du mariage : Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. Cela n’altère en rien le consentement libre et personnel de chacun des conjoints, mais nous invite à admirer la délicatesse de l’intervention de Dieu au plus
intime de nous. « Dieu plus intime encore que le plus intime de moi, meilleur encore que le meilleur de moi » disait, je crois, St Augustin. (Deus intimior intimo meo, superior summo meo)