dimanche  5 novembre  2023                                    

homélie / Par François Battez

Dans l’évangile d’aujourd’hui, avant de nous rappeler que Dieu seul mérite pleinement le titre de Maître ou de Père, nous autres, nous ne pouvons porter ces titres que par analogie, le Seigneur nous invite à ne pas faire comme les scribes et les pharisiens qui ne mettent pas leurs actes en accord avec leurs paroles et qui, dans leur manière d’agir, ne cherchent qu’à se faire remarquer.

Par la suite, le Seigneur sera nettement plus dur avec eux. Ici, il commence par encourager tout le monde à suivre leur enseignement, car les scribes dont la majorité appartenait au groupe des Pharisiens avaient autorité pour interpréter la Loi Donc dit-il, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Mais tout de suite après, il invite un chacun à ne pas faire comme eux car leurs actions sont contraires à leurs belles paroles, ils disent et ne font pas.  Dans le passage qui suit immédiatement l’évangile d’aujourd’hui, Jésus dénoncera sans ménagement leur hypocrisie.

 Nous autres aujourd’hui, sans être de véritables pharisiens, hypocrites à plein temps, peut-être y a-t-il parfois quand même, un peu trop d’écart entre ce que nous disons et ce que nous faisons… Dans nos prières, est-ce que nous ne parlons pas au-dessus de nos moyens ? Un ami me disait un jour : moi, dans le Notre Père quand on arrive à “pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé“, je m’arrête, je me tais, et puis je reprends après, parce que moi, je ne pardonne pas ! Comme l’évangile nous y invite aujourd’hui, soyons attentifs à toujours mettre nos actions en accord avec nos paroles. 

Mais, outre leur hypocrisie, ce que Jésus reproche surtout aux Pharisiens, c’est leur orgueil. Ils cherchent constamment à se mettre en avant et agissent pour être remarqués par les autres. Les juifs pieux portaient des phylactères, c’est à dire de petites boîtes contenant des extraits de la Loi, sur le front ou sur le bras gauche, les Pharisiens eux, portent des phylactères plus imposants Les Juifs pieux portaient aussi des franges ornées d’un fil violet symbole du ciel à leur vêtement. Jésus lui-même en portait. Dans son récit de la guérison d’une femme souffrant d’hémorragies, St Mt rapporte que s’approchant par derrière, elle toucha la frange du vêtement de Jésus. (Mt.9,20) Les pharisiens eux, rallongeaient ces franges pour qu’on voie bien qu’ils sont des croyants d’élite.  A la synagogue ou dans les dîners ils prennent les premières places. Comme ils s’efforcent d’observer minutieusement les moindres obligations de la Loi, ils se considèrent comme bien supérieurs à la masse des croyants ordinaires qu’ils méprisent. Ils estiment qu’il leur revient d’occuper les places d’honneur à la synagogue ou dans les dîners et se considèrent comme des justes.

Leur manière de se comporter est exactement à l’opposé de ce que recommande le Christ. Ils cherchent les premières places dans les banquets, Jésus recommande explicitement le contraire : Va te mettre à la dernière place et celui qui t’a invité te fera monter plus haut. (Luc 14,10) Quand ils prient, ils cherchent à se faire voir, Jésus recommande : quand tu veux prier, rentre dans ta chambre la plus retirée, et prie dans le secret.(Mt.6,6) Ils se croient parfaits et méprisent les autres. Jésus nous invite à ne pas juger pour n’être pas jugé et d’ôter d’abord la poutre de notre œil avant de vouloir retirer la paille de l’œil du voisin. (Mt.7,1…) C’est surtout cette volonté de toujours se mettre en avant et de dominer les autres que Jésus réprouve. Elle est à l’opposé de celle qu’il préconise. Les premiers dans le Royaume sont ceux qui se placent en dernier et se mettent au service des autres. C’est ça qu’il enseigne : Si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous qu’il soit votre esclave ; (Marc 10,43) Lui le premier en donne l’exemple. Il apparaît parmi nous non pas sous les traits d’un notable ou d’un puissant de ce monde. Mais il naît dans une étable et grandit dans une famille modeste dans un village obscur. Il garde ses distances vis-à-vis du milieu clérical qui tient le haut du pavé et s’entoure de gens très simples qui n’ont guère d’instruction. « Quand vient l’heure de prendre congé de ses disciples avant d’entrer dans sa passion, au cours du dernier repas qu’il prend avec eux, Il leur donna de son amour un témoignage suprême » dit St Jean (Jn 13,1) il se met à laver les pieds de ses disciples et ils en sont profondément choqués. En ce temps-là, c’était quelque chose qu’on ne pouvait demander qu’au dernier des esclaves de la maison et encore à condition qu’il ne soit pas juif. Après avoir repris sa place à table, il tient encore à préciser : Si je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maitre, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres, car c’est un exemple que je vous ai donné, ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. (Jn 13,14.15) Le service voilà ce que le Seigneur demande. Parce que le service, c’est l’agir de l’amour. L’amour se vit dans le service de ceux qu’on aime. Le Seigneur nous demande de rester dans une attitude de service vis-à-vis des autres, c’est-à-dire de chercher à les promouvoir, plutôt que de chercher à les dominer. Or ce n’est pas facile, parce que c’est aussi un devoir de faire fructifier les talents que le Seigneur nous a donnés. Un élève qui cherche à être le premier de sa classe, l’équipe de foot qui cherche à triompher de l’adversaire, de même le commerçant ou l’industriel qui cherche à venir à bout de la concurrence ne font rien de mal. Une spiritualité de service, n’interdit pas l’exercice d’une ambition légitime. A condition que la lutte contre la concurrence, que ce soit à l’école, sur un terrain de sport ou dans le commerce ne nous amène pas à mépriser ou écraser les autres. Et à condition aussi de ne pas trop nous vanter de nos qualités et nos talents, car même si c’est bien notre travail et nos efforts personnels qui les ont développés, nous les avons d’abord reçus du Seigneur et de ceux qu’il a placés sur notre route. A nous de choisir entre l’orgueil et le réalisme de l’humilité, entre l’orgueil un peu pompier de ce philosophe connu du siècle dernier qui prétendait « Je suis la source absolue car c’est moi qui fais être pour moi cette tradition que je choisis de reprendre ou cet horizon dont la distance à moi s’effondrerait si je n’étais là par la parcourir du regard » (Merleau-Ponty, Philosophie de la Perception) et la lucidité réaliste de St Paul qui disait: Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?et si tu l’as reçu, de quoi te glorifies-tu comme si tu ne l’avais pas reçu ?(1 Co 4,7)

Que retenir de tout cela ?

D’abord veiller à mettre nos actes en rapport avec nos paroles. Qu’il n’y ait pas d’écart entre ce que nous disons et ce que nous faisons.

Ensuite, tâchons de rester lucides, réalistes de ce réalisme qu’on appelle humilité et qui consiste à bien voir que nos qualités, nos talents, avant que nous ne les développions par nos propres efforts, nous les avons d’abord reçus du Seigneur et de ceux qu’il a placés sur notre route. Il arrive que nous fassions le bien. Il arrive que les autres nous approuvent et nous couvrent de félicitations. Tant mieux, mais restons assez lucides, pour ne pas oublier:

-qu’il n’y a qu’une source de bien dans le monde, c’est Dieu,

-que s’il nous arrive de faire le bien, c’est parce que le Seigneur nous en a rendus capables,

-et que c’est à lui qu’en revient le mérite, ainsi que St Paul le disait aux Éphésiens: « A Celui

dont la puissance agissant en nous peut faire bien plus, infiniment plus que tout ce que nous pouvons désirer ou imaginer, à Lui la gloire pour les siècles des siècles.» (Eph 3,20).