C’était un jour de sabbat. Sortant de la synagogue où il venait d’enseigner Jésus entre avec ses disciples chez Simon et André. Leur belle mère est alitée avec la fièvre. Mis au courant, Jésus la guérit. Le bruit de cette guérison se répand dans la ville et le soir venu, on se presse à la porte pour écouter Jésus tandis que les malades et les possédés accourent pour se faire délivrer de leurs maux. Il va en guérir beaucoup. Toutes ces guérisons miraculeuses comportent bien des ambigüités et du côté des malades et du côté de Jésus. Essayons d’y voir un peu plus clair.
Les malades qu’est-ce qu’ils veulent ? Se faire guérir. Bien sûr, mais pas seulement. Car pour eux, une maladie n’est jamais un pur désordre physique, elle a toujours un lien avec le péché. Parfois même, comme dans le cas de la lèpre, elle est considérée comme une punition divine. Si bien que lorsqu’ils demandent la guérison d’une maladie, ils demandent peut-être en même temps une certaine purification spirituelle.
Et Jésus, quel est son but lorsqu’il guérit les malades ou délivre les possédés ? Pris de pitié, il veut soulager leur souffrance, mais en même temps il veut leur donner un signe, une preuve de sa présence, de la présence de Dieu au milieu d’eux. Et cela on ne le voit pas parce qu’on en reste à l’aspect prodige du miracle et au bienfait immédiat qu’il apporte. Jésus le reprochera durement à la foule qui le rejoint, le lendemain de la multiplication des pains : Ce n’est pas parce que vous avez vu des signes que vous me cherchez, mais parce que vous avez mangé du pain à satiété. (Jean 6,26 ) Dans un miracle, il y a toujours un prodige. Sur une simple parole de Jésus la maladie disparait, le démon est chassé. C’est tellement impressionnant qu’on en reste là. Or pour Jésus un miracle, c’est plus qu’un simple prodige ; c’est, au-delà du prodige et à travers ce prodige, un signe accordé à quelqu’un qui a déjà un peu la foi, afin que, éclairé par ce signe il reconnaisse la présence de Dieu dans sa vie et soit plus uni à lui. D’ailleurs Jésus dit souvent à celui qu’il guérit ta foi t’a sauvé (Mt.9,22) ou qu’il soit fait selon ta foi (Mt.9,29) Et sans la foi, Jésus ne fait pas de miracles. St. Mt nous rapporte qu’au cours d’une de ses visites à Nazareth, il ne fit pas beaucoup de miracles parce qu’ils ne croyaient pas. (Mt.13,58 )
Pour Jésus les miracles c’est aussi une manière d’exercer son ministère, c’est une prédication par gestes : multiplier les pains, c’est une manière de dire par gestes : Je suis le pain de vie (Jean 6,48) ; guérir un aveugle, c’est dire par gestes Je suis la Lumière du monde (Jean 8, 12) ; ressusciter un mort, c’est dire par gestes : Je suis la Résurrection et la Vie (Jean 11,25 ).
Donc, quel est le but de Jésus lorsqu’il fait un miracle ? C’est d’apporter un signe, une preuve que Dieu est présent, agissant au milieu de nous, à travers le bienfait accordé, une guérison par exemple Au fond, le véritable miracle, ce n’est pas une guérison, du pain multiplié, une tempête apaisée, mais à travers la guérison, le pain multiplié, la tempête apaisée, la présence du Seigneur au milieu de nous. Malheureusement presque toujours on en reste au bienfait accordé et au prodige. C’est à cause de de ces graves malentendus que Jésus s’entoure de précautions quand il fait des miracles. Souvent il emmène le malade à l’écart avant de le guérir et lui commande sévèrement (Mt.9,30) de ne rien dire à personne. Il ne veut pas qu’on le prenne pour un Messie aux pouvoirs impressionnants voire terrifiants. Il est venu révéler un Dieu Amour.
Mais l’évangile d’aujourd’hui ne nous parle pas seulement de la guérison de la belle-mère de Pierre. En nous rapportant comment, le lendemain matin bien avant l’aube, Jésus se rendit dans un endroit désert pour prier, il nous apprend quelque chose de fondamental sur la prière. Il n’avait pas besoin de l’aide ou du pardon de Dieu, comme nous qui sommes des créatures faibles
et des pécheurs, alors pourquoi priait-il ? Il avait besoin de retrouver la paix et le calme de l’intimité avec le Père, lui qui était assiégé par la foule qui l’écrasait, (Marc 5,24) Elle le pressait tellement qu’il ne pouvait plus rentrer dans les villes, il devait rester en dehors, en des endroits déserts (Marc 5,24) D’autre part, les prêtres, les scribes et les pharisiens le harcelaient sans cesse, essayant de dresser tout le monde contre lui.. Il avait donc besoin de s’isoler de temps en temps pour retrouver la paix dans l’intimité du Père.
Certainement que nous aussi, qui sommes souvent débordés par toutes nos activités, nous aurions besoin de nous retrouver devant le Seigneur de temps en temps, pour réfléchir calmement à notre situation, retrouver la paix et faire le point avec lui, dans une prière désintéressée. En nous montrant comment Jésus priait pour retrouver un moment d’intimité avec son Père, l’évangile d’aujourd’hui nous rappelle que la prière n’est pas uniquement une démarche pour demander quelque chose à Dieu mais qu’elle est fondamentalement une démarche où on s’approche de lui pour être en communion avec lui, le retrouver, retrouver sa mentalité, son point de vue, et voir comment faire.
Et la fin de l’évangile d’aujourd’hui nous laisse entrevoir le dynamisme infatigable du Christ que nous sommes invités à imiter. Au matin, voyant que Jésus a disparu, Pierre et ses compagnons se mettent à sa recherche et l’ayant trouvé lui disent : Tout le monde te cherche. Cela se comprend : heureux de voir les nombreuses guérisons opérées par Jésus, les habitants de Capharnaüm veulent le garder chez eux. Mais Jésus répond : Allons ailleurs dans les villages voisins, afin que là aussi, je proclame l’évangile ; car c’est pour cela que j’ai été envoyé. Ce qui veut dire deux choses :
1°) d’abord qu’on ne peut pas garder le Christ pour soi, il faut le partager avec les autres. On n’avait pas encore compris qu’il n’était pas venu pour quelques bourgades de Palestine seulement mais, comme le dira plus tard St Paul, pour que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (2Tim.2,4) Est-ce clair pour nous aujourd’hui que nous ne pouvons pas garder le Christ pour nous tout seuls, pour qu’il nous vienne en aide dans les moments difficiles quand nous en avons besoin, mais que nous devons garder le souci de tous ceux, en particulier dans notre entourage, qui ne connaissent pas ou qui ne veulent plus connaître le Seigneur ?
2°) Ensuite l’attitude de Jésus qui va toujours de l’avant et entraîne ses apôtres avec lui doit nous faire comprendre que quand on a commencé à suivre le Christ, on ne peut jamais s’arrêter, on a toujours à s’efforcer de mieux le connaître, de mieux comprendre sa parole et de mieux la mettre en pratique. C’est urgent pour chacun de nous et pour tous ceux qui attendent notre témoignage pour se mettre en route.
Que retenir de tout cela ?
Trois choses 1°) Les miracles de l’évangile ne sont pas simplement des prodiges. Le miracle, ce n’est pas la guérison obtenue ou la tempête apaisée, mais le signe, la preuve de la présence de Dieu parmi nous à travers un prodige et un bienfait. Le miracle, c’est aussi une prédication par gestes. Multiplier les pains, c’est une manière pour Jésus de dire par gestes Je suis le Pain de Vie.
2°) En nous montrant comment Jésus prie pour retrouver l’intimité avec le Père l’évangile nous rappelle que notre prière ne doit pas être seulement une prière de demande, Nous qui sommes si souvent débordés, nous aurions bien besoin de nous retrouver devant le Seigneur pour retrouver la paix, réfléchir à notre situation, faire le point, et voir avec lui comment faire.
3°) Enfin, le Christ qui ne s’arrête jamais, mais va toujours de l’avant, nous rappelle que quand on se met à sa suite, il n’y a pas de pause prévue. Comme disait Saint Exupery : Il n’y a pas de repos, sinon dans la paix des moissons, quand Dieu engrange.