4ème dimanche du temps ordinaire – Année A – Mt 5,1-12a
« Heureux les pauvres de coeur. »
L’évangile aujourd’hui nous donne le début du discours sur la Montagne où Jésus présente son programme ainsi que les dispositions nécessaires pour entrer dans le Royaume. Première indication: Ceux qui entrent dans le Royaume, sont heureux. Le but de notre Père du ciel c’est que nous soyons heureux, d’ailleurs tous les efforts du Christ au long de son ministère ici-bas visent à ce que nous ayons la vie en abondance (Jean 10,10).Avis à tous ceux qui pensent que la religion, c’est l’austérité, la rigidité, l’ascétisme et qu’un bon croyant doit toujours faire « une tête de carême sans Pâques » comme dit le pape François. Mais, deuxième indication :les modèles de bienheureux que nous présente l’évangile : des pauvres de coeur, des gens qui pleurent, qui sont persécutés ou insultés ne correspondent guère à l’image que nous nous faisons des gens heureux et dans notre monde de compétition où la concurrence est rude,les doux, les pacifiques, les miséricordieux ne font pas partie des modèles qu’on se propose d’imiter. Que veut donc nous dire le Seigneur ? Regardons de près ses propos pour essayer de comprendre.
Bienheureux les pauvres de coeur, car le Royaume des cieux est à eux. Qu’est-ce que c’est un pauvre de coeur ? Ce n’est pas un nécessiteux qui n’a pas d’argent, pas de maison, pas de voiture, pas de vêtements convenables, ce n’est pas non plus quelqu’un qui n’a pas d’instruction ni d’éducation, ce n’est pas davantage quelqu’un qui n’a pas une situation en vue dans la société. Un pauvre de coeur ce n’est pas un clochard, un ignorant, ou un raté . Un pauvre de coeur, c’est quelqu’un qui est pauvre au niveau de l’être, au plan moral et spirituel, c’est quelqu’un qui n’arrive pas à aimer sa femme, son mari, ses enfants comme il le voudrait, qui n’arrive pas à être honnête comme il le voudrait. Malgré les richesses, l’instruction ou la culture qu’il peut avoir, il se rend compte, comme St Paul : « le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas je le fais……malheureux homme que je suis » (Rom.7, 19,24) dit la traduction française mais la traduction malgache est plus éclairante qui dit « Hélas, je suis pauvre ».
Mais pourquoi le fait de se sentir pauvre va-t-il me rendre heureux ? Je devrais me sentir malheureux au contraire en voyant que je n’arrive pas à faire ce que je veux, en constatant que je suis incapable de rien réussir par moi-même. En fait, me sentant pauvre et démuni, je vais ressentir vivement le besoin de l’aide de Dieu et je vais me tourner vers lui pour obtenir son appui, Et comme Dieu est un Père aimant, il va me tirer d’affaire. Moi je suis pauvre et malheureux dit le ps.40, mais le Seigneur pense à moi. Il se trouve que les pauvres de coeur sont les préférés du Seigneur. Il nous le disait déjà dans Isaïe « Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied, mais celui sur qui je porte les yeux, c’est le pauvre et le coeur contrit » (Is.66,8). Quel paradoxe étonnant et merveilleux ! Voilà que les pauvres de coeur qui devraient être malheureux parce qu’ils n’arrivent à rien se retrouvent bienheureux parce que dans leur malheur ils se sont tournés vers Dieu qui leur donne ce que ni les richesses, ni le savoir ni une bonne réputation ne pouvaient leur donner. C’est pour cela que le fait de me sentir pauvre, incapable de m’en sortir par moi-même finalement me rend heureux. Que je sois pauvre, que je n’arrive à rien par moi-même, qu’est-ce que ça peut faire, puisque Dieu est avec moi, qui m’aide. Comme St Paul, tout heureux, je dis : « Je peux tout en Celui qui me fortifie »(Phil.4,13) « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2Cor.12,10) Le pauvre de coeur n’est pas heureux parce qu’il est pauvre, mais parce que sa pauvreté l’a conduit à se tourner vers Dieu source de tout bien qui le comble bien au delà de ce que les richesses de la terre pourraient lui apporter.
Il y a là un paradoxe étonnant : la pauvreté qui est un mal, que ce soit la pauvreté matérielle ou spirituelle, (personne ne souhaite à ceux qu’il aime d’être pauvre) peut avoir des effets secondaires positifs. Et le plus important de ces effets secondaires positifs, c’est qu’elle nous ouvre à Dieu source de tout bien, qui veut rassasier ses fidèles, ne leur laissant rien à regretter ni personne à envier. « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jean 6,35)Tandis que la richesse, qui est un bien, qu’il s’agisse de richesse matérielle ou spirituelle peut avoir des effets secondaires négatifs. Et le pire de ces effets secondaires négatifs c’est qu’elle nous ferme à Dieu. Les riches, parce qu’ils qu’ils peuvent avec leur argent satisfaire presque tous leurs désirs, sont tentés de croire qu’ils n’ont besoin de rien ni de personne et surtout pas de Dieu. Comme dit le ps.16 : »Leur coeur épaissi se ferme » aussi bien aux autres qu’à Dieu, ce qui amène le Christ à dire qu« il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux » (Mt.19,24)
Voilà pourquoi la pauvreté de coeur n’est pas une qualité facultative qu’on peut avoir ou ne pas avoir pour entrer dans le Royaume, c’est une qualité indispensable, absolument nécessaire, parce qu’elle nous ouvre à Dieu, qui dans son amour veut partager avec nous tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. C’est pourquoi le Christ place la pauvreté de coeur en tête des dispositions qu’il faut avoir pour entrer dans le Royaume. Les pauvres de coeur ne sont pas bienheureux parce qu’ils sont pauvres, mais parce que leur pauvreté leur fait retrouver Dieu source de tout bien. De même ceux qui pleurent ne sont pas bienheureux parce qu’ils pleurent, mais parce que n’étant pas satisfaits de ce que le monde peut leur offrir, il cherchent autre chose et se tournent vers Dieu. De même encore ceux qui ont faim et soif de justice sont heureux parce qu’insatisfaits de la justice des hommes, ils aspirent à une justice que seul Dieu peut leur offrir.
Autrement dit, l’attitude de base pour suivre le Christ et entrer dans le Royaume, c’est d’être un homme de désir, qui n’est pas satisfait avec les biens de la terre, qui trouve qu’il n’arrive pas à être comme il voudrait, qui cherche mieux et qui, plus ou moins consciemment pense comme St Augustin « Tu nous as faits Seigneur pour Toi et notre coeur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi. »
Que retenir de tout cela ?
L’évangile d’aujourd’hui nous a présenté les dispositions à avoir pour entrer dans le Royaume Avant tout il faut être pauvre de coeur . Le pauvre de coeur c’est celui qui est pauvre au plan moral et spirituel. Il constate qu’il n’arrive pas à faire le bien qu’il aime et qu’il fait le mal qu’il n’aime pas. Heureux celui là ! Il a de la chance ! Parce que dans son malheur, il va se tourner vers Dieu pour demander de l’aide . Et ça tombe bien parce que justement, Dieu est un Père aimant, qui n’a qu’une idée : le bonheur de ses enfants, partager avec eux tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. Il sait de quoi nous avons besoin avant que nous le lui demandions.« (Mt.6,8) Le ciel est son trône et la terre son marchepied, mais celui vers lequel il porte les yeux, c’est le pauvre et le coeur contrit. Il va donc sauver ce malheureux qui n’arrive à rien par lui-même.
Ensuite, tant mieux si nous ne sommes pas satisfaits de l’état du monde et de l’injustice qui y règne, heureux sommes nous, cela prouve que nous cherchons mieux, que nous avons faim et soif de Dieu, de sa vérité et de sa justice.
A qui s’adresse ce discours de Jésus ? A ceux qui ont envie de quelque chose qu’ils n’ont pas. Heureux ceux qui ont envie d’autre chose. ! Si vous êtes des satisfaits, des repus, ce n’est pas pour vous. Mais si vous avez envie d’autre chose,venez. Si vous n’êtes pas satisfaits de ce que vous êtes, si vous avez envie d’être mieux, alors c’est pour vous ce discours là. Il me semble qu’à travers ces Béatitudes, le Seigneur veut nous dire : Tant mieux si vous n’êtes pas heureux avec ce que le monde peut vous offrir et si, désirant plus et mieux, vous vous tournez vers moi, parce que , justement « Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance. » (Jean 10,10 ).