25° Dimanche du temps ordinaire – année C – Luc 16,10-13
« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent. »
Le gérant malhonnête de cette parabole apprenant qu’il va être renvoyé, ne reste pas inerte, écrasé par cette mauvaise nouvelle, il se démène pour assurer son avenir. Il convoque les acheteurs qui doivent de l’argent son maître et leur accorde d’importantes remises en truquant les factures. C’est du vol. Mais il espère que ces acheteurs, reconnaissants, l’aideront à se trouver une nouvelle situation, quand il se retrouvera à la rue. Le Christ ne veut pas ici nous donner en modèle un filou et à aucun moment il ne loue sa malhonnêteté, mais il le propose en exemple pour sa débrouillardise.
Par ailleurs, le Seigneur regrette d’avoir à le constater, ceux qui ne connaissent que l’argent et le monde présent sont plus habiles que ceux qui , voyant au-delà du monde présent, marchent vers Dieu dans la lumière. Aujourd’hui, dans cette homélie, je ne parlerai pas de l’enseignement de Jésus sur l’argent mais je commenterai sa position vis à vis des fils de lumière. Qu’est-ce que Jésus reproche aux fils de lumière qu’il a sous les yeux ? Il leur reproche, me semble-t-il, un certain immobilisme. Accrochés à leurs habitudes, ils ne veulent surtout pas être bousculés. Pour les Pharisiens,les prêtres,les lévites, les docteurs de la Loi, leur manière de pratiquer la religion leur vaut du prestige et de l’autorité sur les autres, ils n’ont pas envie que ça change. Sous prétexte de préserver l’orthodoxie, ils s’opposent à toute innovation et accusent le Christ de détruire la Loi et d’être un impie qui prêche une nouvelle religion.
Il me semble qu’aujourd’hui le Christ pourrait faire le même constat : les fils de ce monde sont plus habiles que les fils de la lumière. Dans notre société, tout change constamment dans tous les domaines, et à un rythme toujours plus rapide . L’Eglise aussi change, mais beaucoup plus lentement. Handicapée par l’inertie et la lourdeur ambiantes, elle a du mal à réagir face aux situations nouvelles. Certes, des avancées spectaculaires ont été réalisées. Si le nombre des fidèles au culte du dimanche a considérablement diminué, la qualité de leur participation à la messe s’est tout aussi considérablement améliorée. Partout. Le concile Vatican II a donné un nouveau visage et une nouvelle vie à l’Eglise. Il serait trop long d’entrer dans les détails. Je mentionnerai seulement la place toujours plus grande accordée aux laïcs, y compris dans la prise de décisions, leur participation dans la préparation aux baptême, aux premières communions, aux mariages, à la célébration des funérailles, l’institution des diacres permanents, l’action des comités paroissiaux et bien sûr la réforme liturgique dans son ensemble. Mais on ne peut pas dire qu’il y ait dans l’Eglise le même élan, la même fièvre pour le mouvement en avant et le progrès, que dans le reste de la société. Comme du temps du Christ le souci de préserver l’orthodoxie freine les initiatives et l’enthousiasme qui pourraient se manifester ici ou là. . C’est vrai que que sous prétexte de progrès, il ne faudrait pas se lancer dans n’importe quoi. Les déviations que l’on voit dans les sectes nous rappellent à la prudence. Mais il ne faudrait pas non plus que, par peur de tomber, on renonce à aller de l’avant. On a trop souvent l’impression d’avancer à reculons le dos tourné à l’avenir, les yeux fixés sur ce qui se faisait il y a cinquante ans, que l’on considère comme étant la seule tradition valable, qu’il faut respecter scrupuleusement sous peine de péché mortel !
La tradition de l’Eglise, c’est plus et autre chose que ce qu’on faisait il y a cinquante ans. La tradition de l’Eglise, c’est aussi, avant qu’il y ait des prêtres, l’Eucharistie célébrée et présidée par un laïc, un ancien, le presbuteros. Tout baptisé est membre du Christ prêtre, prophète et roi, dit explicitement le texte de la liturgie du baptême. Tout baptisé participe du sacerdoce du Christ. J’ai entendu un jour un curé de paroisse, un très bon curé d’ailleurs, s’indigner avec véhémence « Un laïc faire l’homélie, jamais ! cela revient au prêtre ». C’est faux. En pays de mission, partout, en brousse, des catéchistes laïcs président la prière dominicale de l’assemblée et font l’homélie. Pendant les vingt années où j’étais curé de brousse, six ans dans un district de 18 clochers, quatorze ans dans un district de 32 clochers c’était toujours un laïc catéchiste, homme ou femme, qui présidait la prière dominicale de l’assemblée et faisait l’homélie. Quelques uns avaient étudié un an dans une école de catéchistes, mais pour la plupart c’était moi, curé du secteur, qui assurais leur formation au cours de réunions mensuelles qui étaient un mélange d’enseignement théologique et de récollection spirituelle. Et ces réunions avaient la priorité absolue parmi toutes mes tâches. C’est ainsi que l’Eglise fonctionne dans tous les pays de mission. Et toutes les église sont ouvertes dans tous les villages, tous les dimanches.
Comme tous les missionnaires rentrés en France, je suis choqué de voir que, alors que, en raison du petit nombre de prêtres, notre pays se trouve dans la même situation que celle des pays de mission, on ne se pense pas davantage à s’inspirer de ce qui se fait là-bas. En Europe, on s’efforce de gérer au mieux la fermeture des églises, alors qu’il y a partout des laïcs qui seraient capables d’être des animateurs spirituels de leur clocher. On n’ose pas faire du nouveau. Héroïquement on essaie de faire, dans tout un secteur, avec trois ou quatre prêtres, le plus souvent âgés, ce qui auparavant mobilisait à plein temps vingt prêtres ou plus. On reste figé, scotché sur les structures de l’Eglise d’il y a cinquante ou soixante-dix ans. On n’ose pas inventer pour répondre à la situation et aux besoins d’aujourd’hui. Notre pape François répète continuellement que l’Eglise ce n’est pas une structure qui fonctionne seulement avec l’Esprit Saint descendant du Vatican, des évêques et des prêtres mais qu’elle est animée aussi par l’Esprit Saint montant du peuple de Dieu qu’il anime. Sans cesse notre pape répète qu’il faut être à l’écoute des besoins et des aspirations de la base. C’est pour cela qu’on lance des consultations synodales partout. (sun odos : faire route ensemble) Osons regarder en face le Christ dans l’évangile. Et tant pis ou tant mieux s’il dérange notre timidité et nos craintes, nos lenteurs et nos lourdeurs : le Christ est toujours en mouvement. Passons sur l’autre rive (Mt.8,18) Les gens veulent le retenir, lui refuse Allons ailleurs dans les bourgs voisins pour que j’y prêche aussi l’évangile. (Marc 4,35) Il s’oppose vigoureusement aux prêtres et aux pharisiens qui sont figés sur leur interprétation de la Loi et de l’Ecriture. Dans le sermon sur la montagne, qui est quelque chose comme son discours inaugural, à six reprises, il répète Vous avez appris qu’il a été dit… et moi je vous dis (Mt.5) Notre vie chrétienne, c’est quelque chose qui évolue tout le temps. De même qu’on ne met plus le beau petit pantalon ou la belle petite robe du jour de sa première communion, aujourd’hui on met un pantalon ou une robe à sa taille, de même aujourd’hui à vingt ans, à cinquante ans ou à quatre vingt ans on ne peut plus prier de la même manière qu’à dix ans, on prie avec sa mentalité, son expérience,sa personnalité de 20,50 ou 80 ans.
Que retenir de tout cela ?
Il faut nous remuer. Le Seigneur constate que ceux qui ne pensent qu’à l’argent sont actifs, industrieux, ils se démènent avec habileté et intelligence et il voudrait voir les fils de la lumière imiter leur dynamisme et leur habileté. Ne jamais pas avoir peur de s’engager dans du neuf, mais être prêt aussi à revenir en arrière et à reconnaître humblement qu’on s’est trompé, s’il le faut. Le Christ nous invite à ne pas rester figés dans nos pratiques et nos habitudes, même bonnes. Il s’agit de chercher toujours à faire mieux, de façon à toujours mieux comprendre qui est le Christ, à l’aimer toujours plus et à le suivre de toujours plus près, avec le souci d’entraîner tous les braves gens qui nous entourent et qui ne le connaissent pas. ( Si vous consultez le site chti jesuites.com, vous trouverez à la suite de cette homélie un texte sur l’Eglise plein d’humour dont je vous recommande la lecture)
L’EGLISE EPOUSE DE DIEU
L’épouse de Dieu, comme une brave femme un peu popote, est exposée à la tentation de vouloir s’installer. Elle fait son trou, pour s’y nicher, elle, ses enfants et ses casseroles. Et, mine de rien, elle décide de réformer son mari, de le domestiquer, de le retenir là où elle veut s’établir. Fixer Dieu à ce qui a a été, c’est l’essence de la religion et la religion, c’est l’origine de la dégradation des relations entre Dieu et l’Eglise. On ne peut pas attacher Dieu à ce qui a été. Il est libre, il est missionnaire,pionnier, explorateur. C’est quelqu’un qui franchit les frontières, le créateur de ce qui n’a jamais existé auparavant. Il ébranle tout statu quo. Il arrache les jours passés du calendrier du monde, si bien que chaque époque est une époque nouvelle, et chaque aujourd’hui une aventure nouvelle, vers un avenir que personne n’a jamais exploré. Dieu, c’est un époux très turbulent. Il est toujours en mouvement. Il est toujours à appeler sa femme pour qu’elle l’accompagne et le suive dans chaque situation nouvelle. Mais l’Eglise sait, au fond de son coeur, que c’est dangereux de quitter ses positions bien établies, à la sécurité assurée, pour suivre le Seigneur. On peut y laisser sa peau à aller là où il veut aller, à faire ce qu’il veut faire.
Où veut-il aller ? Que veut-il faire ? Certains, bigots, font comme si tout ce qu’il voulait, c’était aller à l’église. Bien sûr qu’il y va, à l’église. Juste ce qu’il faut pour causer un peu avec sa femme, lui accorder l’attention, la compréhension profonde, intime, d’un bon mari qui aime sa femme. Et puis, toujours trop tôt pour elle, le voilà qui déclare : Allez, tu viens, on s’en va, on a du travail. Et il s’en va si vite et dans une direction tellement inattendue que les trois quarts du temps, la pauvre fille reste là, bouche bée, à essayer d’empêcher ses jupes de s’envoler dans le courant d’air créé par les allées et venues du Seigneur. Dans les milieux généralement bien informés, on appelle ce courant d’air, « le souffle de l’Esprit Saint. »
Voilà. A nous de choisir. Notre choix sera peut-être celui de la femme de Lot :tourner le dos à l’avenir, statues de sel pétrifiées, figées, qui par là même paralysent tout. Ou au contraire, plaise à Dieu qu’il en soit ainsi, notre choix sera le choix de l’épouse de Dieu : nous nous laisserons entraîner de l’avant, sans crainte, prêts à laisser tomber tous les appuis, tous les systèmes, jusqu’à nous perdre nous-mêmes, pour devenir ce que le Christ nous invite à être :
LE SEL QUI DONNE SA SAVEUR A LA VIE DU MONDE.
(D’après Stuart Coles, cité par Pauline Webb, vice-présidente du Congrès Mondial Méthodiste de 1965)