3e dimanche de l’Avent – dimanche de Gaudete – Année A – Mt 11,2-11
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »
Jean Baptiste ne doutait pas que Jésus soit le Messie. Lorsque ce dernier était venu recevoir le baptême, Jean Baptiste avait vu l’Esprit Saint descendre sur lui sous l’apparence d’une colombe et il avait entendu la voix venue du ciel proclamer Celui-ci est mon Fils bien–aimé(Mt.3,17) Et puis l’ enseignement de Jésus et ses miracles l’impressionnaient profondément Mais ses disciples, eux, se posaient des questions.
C’est que Jésus était déconcertant.. C’était quelqu’un comme tout le monde. Mais justement Jean Baptiste, comme tous les croyants, pensait que le Messie ne pourrait être que quelqu’un de différent, d’imposant, quelque chose comme un grand-prêtre ou au moins comme un scribe versé dans les Ecritures… Or qui voit-il arriver ? Son cousin, charpentier à Nazareth. Jean Baptiste annonçait un Messie qui viendrait en juge sévère châtier les pécheurs, il prêchait avec violence et colère Engeance de vipères, repentez vous tandis que Jésus, lui, c’était plutôt Laissez venir à moi les petits enfants.(Luc,18,16) Et puis il y avait l’anticléricalisme véhément de Jésus, qui n’arrêtait pas de s’en prendre aux prêtres, scribes, docteurs de la loi,lévites et aux bien pensants :Pharisiens et saducéens. Alors, Jean Baptiste ne doutait pas, mais il était quand même perplexe à certains moments. Il est donc bien content d’envoyer ses disciples demander à Jésus de régler la question une fois pour toutes : Es-tu celui qui doit venir ou devons nous en attendre un autre ?
Face aux questions des disciples de Jean, Jésus les renvoie à leur propre jugement : regardez ce qui se passe et jugez par vous mêmes. Voyez les guérisons des aveugles, des boiteux, des sourds, la résurrection des morts et l’annonce de la bonne nouvelle aux pauvres. Or ces paroles de Jésus qui rapportent ce qu’il fait sont en même temps des citations d’Isaïe où le prophète décrit les oeuvres qu’accomplira le Messie lorsqu’il viendra.De sorte que dans sa réponse Jésus ne dit pas simplement « Oui, je suis celui que vous attendez », mais il laisse entendre en même temps « d’ailleurs, je suis bien tel que l’ont annoncé les prophètes ».
Aujourd’hui, nous aussi, comme les disciples de Jean Baptiste,nous avons des raisons de douter. Nous pouvons nous demander comme eux : est-ce que c’est bien lui le Messie Sauveur, ou faut-il en attendre un autre ? Après vingt siècles de christianisme, où en sommes-nous ? Scandales de moeurs dans l’Eglise…Dans la société, ce n’est pas mieux. Selon des enquêtes sérieuses, en France, plus de 80% des crimes de pédophilie seraient commis au sein des familles. D’un bout à l’autre du monde, partout des injustices, des guerres, des ruines, des inégalités scandaleuses et des persécutions ethniques ou religieuses plutôt en hausse. Certains osent s’inquiéter d’une possible pénurie de foie gras pour leur réveillon tandis que le Secours Catholique, le Secours Populaire et les banques alimentaires voient se multiplier le nombre de nécessiteux à leurs portes. On en vient à se demander à qui on va pouvoir encore souhaiter un joyeux Noël.
Mais si après vingt siècles de christianisme, on en est encore là, est-ce que c’est parce que le Sauveur n’est pas le sauveur et qu’il n’a rien sauvé du tout ou est-ce que c’est nous qui l’empêchons de faire son oeuvre de salut ? En réalité le Christ a réellement apporté un salut au monde. Par sa mort et sa résurrection, il a vaincu le mal, le péché et la mort. Mais c’est nous aujourd’hui qui bloquons le salut que le Christ veut continuer d’ apporter. Alors qu’il nous confie la tâche de poursuivre son oeuvre de salut en faisant régner partout où nous sommes la loi d’amour et de charité de l’évangile,bien souvent nous nous détournons de lui en allant chercher ailleurs salut et bonheur, dans la raison, le progrès, la science ou dans n’importe quelle idéologie douteuse, quand ce n’est pas dans l’alcool, la drogue ou la violence. Pourtant, les faits le montrent : toutes les tentatives de remplacer l’idéal chrétien par autre chose ont
toujours amené de cruelles désillusions. Les philosophes des Lumières et leurs disciples se sont efforcés de détruire la religion chrétienne persuadés qu’une fois affranchis de ce qu’ils estimaient, eux, n’être que des fables et des légendes, les hommes suivraient la raison et adopteraient alors unanimement une morale et un art de vivre supérieurs. C’est l’inverse qui s’est produit. L’humanité a régressé, s’enfonçant dans la cruauté et la sauvagerie. Pensez aux millions de victimes des dernières guerres mondiales et des camps de la mort en URSS, en Chine, au Cambodge, dont on n’est pas sûr qu’ils aient définitivement disparus.Et comme le fait remarquer un historien, les pires régimes de l’histoire moderne ont été ceux qui ont le plus clairement renié la vision chrétienne de la réalité et cherché à la remplacer par autre chose. (Hart « Atheist Delusions »p.107) Il y a 2.700 ans le Seigneur déplorait déjà par la bouche de Jérémie : Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive pour des citernes lézardées qui ne retiennent pas l’eau. (Jer. 2,13 ) On est tenté de dire que les choses n’ont pas changé.
Mais ce serait malhonnête. La réalité nous oblige à reconnaître que le christianisme a fait bouger les choses dans le monde, aussi bien au sommet, au niveau des grandes instances internationales qu’à la base, dans la vie quotidienne d’un chacun. La législation des droits de l’homme au niveau international, le droit du travail, les régimes d’aide sociale mis en place par les gouvernements, les innombrables associations d’entraide officielles ou privées, religieuses ou laïques en faveur des personnes ou des pays les plus défavorisés, des migrants, des réfugiés, sont incontestablement des conquêtes de l’esprit chrétien. On n’admet plus aujourd’hui d’abuser des enfants, de laisser sans soins des malades, d’abandonner à leur solitude des personnes isolées. C’est un fait . Mais c’est un fait aussi que dans la réalité, au quotidien, nous sommes très loin, malheureusement, de mettre en pratique les idéaux que nous professons, et notre monde n’est pas encore le Royaume de paix, de justice et de charité que le Seigneur nous demande de construire.
Alors ? Je ne vais pas sauver le monde à moi tout seul. Ce n’est pas moi qui puis guérir les aveugles, les sourds et les boiteux du monde entier, mais je peux m’attaquer à ce qui est aveugle sourd paralysé et boiteux en moi et autour de moi, et peut-être arriverai-je même à le guérir parce que le Seigneur vient, qui veut apporter du salut dans le monde à travers moi , lui« dont la puissance agissant en nous peut faire bien plus, infiniment plus que tout ce que nous pouvons désirer ou imaginer« comme dit St Paul aux Ephesiens (3,20 ) C’est pourquoi il est urgent que nous nous efforcions de mieux accueillir le Seigneur dans nos coeurs et dans nos vies, de façon à pouvoir apporter un peu plus de paix, de justice et de charité à notre monde.
Que retenir de tout cela ?
Devant tout ce qui va mal dans le monde, nous pouvons être tentés de questionner comme les disciples de Jean : Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? d’autant plus que notre manque de lucidité nous empêche de reconnaître ce que le Christ et son évangile ont déjà apporté au monde. Mais si, après vingt siècles de christianisme le monde est encore dans le triste état que nous constatons, c’est bien parce que le Christ est venu chez les siens et que les siens ne l’ont pas reçu. Aujourd’hui, il continue de venir. Allons nous continuer à ne pas le recevoir ? Le voici qui vient et nous appelle à continuer son oeuvre de salut. Au lieu de perdre notre temps à pleurer hypocritement des larmes de crocodile sur les malheurs du temps, ouvrons tout grand notre coeur pour accueillir celui dont la puissance agissant en nous peut nous rendre capable de déboucher ce qui est sourd et aveugle en nous et autour de nous, et de décoincer ce qui en nous et autour de nous est paralysé ou boiteux. Alors Noël 2022 sera le bon et joyeux Noël que tous, nous espérons.