16° Dimanche du temps ordinaire – année C – Luc 10,38-42
« Tu t’agites pour bien des choses. Une seule chose est nécessaire.»
Tu te donnes bien du mal et tu t’agites pour bien des choses. Une seule chose est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. En entendant cela, nous sommes tentés de penser : le Seigneur nous enseigne ici que ce qui est bien, c’est la prière, la contemplation, tandis que dans le travail et dans l’action, on se disperse et on se coupe de Dieu. Ceci est complètement faux. Malheureusement beaucoup d’entre nous le croient sans se rendre compte des désastres que cela entraîne pour leur vie chrétienne, comme le souligne le P. Teilhad de Chardin dans « Le Milieu Divin »: « Je ne pense pas exagérer, écrit-il, en affirmant que pour les neuf dixièmes des chrétiens pratiquants, le travail humain reste à l’état d’encombrement spirituel. Malgré la pratique de l’intention droite et de la journée quotidiennement offerte à Dieu, une masse de chrétiens garde obscurément l’idée que le temps passé au bureau, aux champs ou à l’usine est quelque chose de distrait à l’adoration et qui nous coupe de Dieu. Dans la vie, quelques minutes peuvent être récupérées pour Dieu. Mais les meilleures heures sont absorbées ou du moins dépréciées par les soins matériels. Sous l’empire de ce sentiment, une foule de chrétiens mènent une existence parfaitement double ou gênée. Il leur faut quitter leur vêtement d’homme pour se croire chrétiens et chrétiens inférieurs seulement. »
Jamais le Christ ne condamne l’action, le travail ou les tâches matérielles. D’ailleurs dans le passage précédant immédiatement l’évangile d’aujourd’hui, il fait l’éloge du bon Samaritain qui s’active et se démène pour soigner le malheureux blessé, il le charge sur sa monture et le conduit jusqu’à l’auberge où il s’assure qu’il sera bien soigné. Rappelons nous aussi la mise en garde très claire du Seigneur : Il ne suffit pas de me DIRE : Seigneur, Seigneur! pour entrer dans le Royaume des Cieux ; il faut FAIRE la volonté de mon Père qui est aux cieux. (Mt.7, 21) Et quand il met en scène le jugement dernier, les élus sont élus non pas parce qu’ils ont prié mais parce qu’ils ont fait de ces actions que bêtement nous appelons matérielles ou profanes Venez les bénis de mon Père, car j’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’avais soif et vous m’avez donné à boire…(Mt.25,34,35) Dans la scène avec Marthe et Marie, Jésus ne condamne pas du tout le dévouement de Marthe qui s’active pour le servir. Il souligne seulement que Marie a choisi la meilleure part. Mais qu’est-ce que c’est, cette meilleure part ? C’est s’asseoir aux pieds du Seigneur pour recevoir un enseignement. Or l’ enseignement du Seigneur, ce n’est pas un savoir théorique que l’on range dans sa tête entre le théorème de Pyrthagore et les règles d’accord du participe passé. Sa Parole, c’est une Parole de Vie, une parole à vivre, qui pousse toujours à agir et donne tout son sens au travail et à l’agir humains . La meilleure part que Marie a choisie, c’est d’écouter de la parole du Seigneur, pour recevoir un enseignement qui va l’orienter vers l’action dont il éclaire et révèle le sens plénier.
Comment cela ? Je prends exemple. Un maçon construit une maison. Ce faisant, il gagne sa vie et subvient aux besoins de sa famille. Bien sûr. Mais il y a plus. Et la parole et l’enseignement du Christ mettent en lumière ce plus. En effet, quand il travaille, le maçon développe les talents que Dieu lui a donnés. Quand il subvient aux besoins de sa famille, il accomplit la tâche et remplit la vocation de père de famille que le Seigneur lui a confiées. D’autre part, la maison que construit ce maçon fera le bonheur de ceux qui l’habiteront. Or, ce que vous aurez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait. (Mt.25,40) Et enfin la maison nouvelle qu’il a construite, c’est un agrandissement, un développement de la création. Donc, loin de nous éloigner et de nous couper de Dieu, l’action et le travail sont, comme la prière, mais d’une autre manière, un moyen de nous unir à lui et de faire sa volonté. Mais nous n’osons pas le croire. Avez vous jamais vu une statue ou une image représentant Notre Dame en train de faire la cuisine ou le ménage ? Pourtant elle était aussi sainte lorsqu’elle faisait la cuisine que quand elle récitait des psaumes. Mais on n’ose pas le dire. Ce que nous appelons matériel et profane a sens et valeur devant Dieu. Rien n’est profane disait Teilhard. Mais c’est difficile pour nous de le croire, d’autant plus que tout peut être profané.
La recherche effrénée de l’enrichissement et de la rentabilité à tout prix, en même temps qu’elle entraîne la dégradation de la vie personnelle, familiale et sociale, nous coupe de Dieu. En dépit des progrès réels amenés par les lois sociales, trop souvent, les horaires et les rythmes de travail inhumains ruinent la vie de bien des familles, tandis que les « burn out » détruisent l’équilibre humain et psychologique des personnes. Chaque jour le danger est là, bien présent, de se noyer dans des occupations et des travaux toujours plus envahissants qui nous éloignent et nous coupent de Dieu, en même temps qu’ils détériorent la qualité de notre vie quotidienne.
Il est donc nécessaire de prendre le temps de se mettre à l’écoute de Dieu, car c’est dans l’écoute de Dieu que nous découvrons le sens et la valeur devant Dieu de notre agir et de notre travail qui, affranchis de notre avidité de notre désir effréné d’enrichissement et de rentablité à tout prix, se révèlent comme une manière de rester unis à Dieu et de mener une vie humaine pleinement épanouie. Une des prières de la messe nous fait dire Seigneur, Tu as créé l’homme à ton image et tu lui as confié l’univers afin qu’en te servant, toi son créateur, il règne sur la création. (Sous entendu : si on s’écarte du service de Dieu, ça va coincer.) Selon le Christ et son évangile, la prière n’est pas le seul moyen d’être uni à Dieu. St. Ignace de Loyola l’avait bien compris, qui ne voulait pas que les jeunes jésuites en formation trouvent Dieu seulement dans l’oraison. Il voulait que les scolastiques trouvent Dieu aussi dans leurs études … et il approuvait davantage cette méthode que les oraisons prolongéesnous confie Polaco, son secrétaire. .(Revue Christus 6 Avril 1955, pp.180) Tant il est vrai que l’agir et le travail ne sont pas ennemis de la prière mais permettent, comme la prière, encore que d’une manière différente, de vivre en communion avec Dieu.
Que retenir de tout cela ?
Dans cette page d’évangile, non, le Seigneur ne nous met pas en garde contre l’action, le travail et les tâches matérielles qui nous détourneraient de Lui. Il n’y a pas à choisir entre la prière et l’action. Le Seigneur va même jusqu’à dire que la prière ne suffit pas : Il ne suffit pas de me dire Seigneur, Seigneur! pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut FAIRE la volonté de mon Père qui est aux cieux. C’est pourquoi le Seigneur nous invite à choisir la meilleure part, c’est à dire à prendre du temps ,à perdre du temps, pour écouter sa parole qui est parole de vie, parole à vivre, laquelle nous révèle tout le sens,toute la valeur devant Dieu de l’agir et du travail humains.
Il me semble que cette page d’évangile nous invite à nous convertir. parce que nous ne savons pas estimer à sa juste valeur la valeur de notre agir et de notre travail devant Dieu. Nous sommes comme les élus qui ne comprennent pas lorsque le Seigneur leurdit : Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le royaume car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. Ils demandent Seigneur quand nous est-il arrivé de tevoir affamé et de te nourrir ?
Saint Exupery parlant quelque part de vieilles dames qui brodaient des chasubles d’or pour leur Dieu, écrit: Elles allaient, ne le sachant pas, les mains pleines d’étoiles Je pense que vous, quand vous préparez le dîner à la maison, quand vous travaillez au bureau, aux champs ou à l’atelier, quand, au volant de votre voiture, vous conduisez vos enfants à l’école, vous allez, vous aussi, ne le sachant pas, les mains pleines d’étoiles.