2e dimanche T.O. année C (Isaïe 62,1-5) (1 Cor.12,4-11) (Jean 2,1-11)
Une fois encore, le Christ nous surprend. Nous sommes au début de sa vie publique. Il vient de commencer à enseigner. Il doit se faire reconnaître comme Messie. On pourrait donc s’attendre à ce qu’il donne un signe d’ordre religieux prouvant sa divinité. On verrait bien un miracle dans le cadre d’une fête liturgique, quelque chose comme une Transfiguration non pas juste devant trois disciples, mais devant tout le monde, par exemple sur l’esplanade du Temple. Mais non, il fait un miracle profane en quelque sorte, il change de l’eau en vin au cours d’un mariage villageois, à Cana. Par contre, ce qui est frappant, c’est le rôle de Notre Dame dans le déroulement des faits.Nous sommes à Cana, à quatorze km de Nazareth. Jésus et ses disciples ainsi que Marie sa mère ont été invités à une noce. Notre Dame qui a l’œil d’une maîtresse de maison a probablement repéré l’agitation du côté des cuisines. Mise au courant de la situation : il n’y a plus de vin, sa délicatesse et sa sollicitude s’en émeuvent. C’est un désastre ! Ce qui devrait être pour les jeunes époux le plus beau jour de leur vie est en train de tourner au cauchemar ! Les familles des mariés vont perdre la face ! Pendant des années et de années, ils vont être la risée de tout le pays ! Il faut faire quelque chose. Elle se tourne alors vers son fils : « ils n’ont plus de vin. » Plus qu’une façon de le mettre au courant, en fait, c’est une manière respectueuse mais déterminée de lui demander d’intervenir. Exactement comme Marthe et Marie ne demanderont pas directement à Jésus de venir guérir leur frère, mais elles lui feront savoir : « Celui que tu aimes est malade » (Jean 11,3). Pourquoi Notre Dame se tourne-t-elle ainsi vers son fils ? Parce qu’elle le connaît, elle sait qu’il ne va pas laisser les gens dans l’embarras. Elle ne sait pas ce qu’il va faire, mais elle a confiance en lui. Et même quand Jésus lui répond : Femme que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue, autrement dit : qu’est-ce que tu veux que j’y fasse, le moment n’est pas encore venu pour moi de me manifester comme Dieu, Notre Dame dit tranquillement aux serviteurs : Tout ce qu’il vous dira, faites-le. Elle ne sait pas ce qu’il va faire, mais elle est sûre qu’il va faire ce qu’il faut. Elle a une confiance totale en lui. Il n’y a pas de longues prières ni des supplications sans fin. Le minimum de mots mais le maximum de poids dans ces mots et par suite le maximum d’efficacité. Parce que rien ne résiste à la force tranquille de la foi. Le Christ le dira plus tard : Si quelqu’un ne doute pas en son cœur mais croit que ce qu’il dit arrivera, cela lui sera accordé (Marc 11,23). Personne ne le sait encore, mais Notre Dame le sait déjà.Et Jésus intervient. Il donne l’ordre aux serviteurs de remplir les jarres d’eau qu’il va changer en vin. Impossible de ne pas reconnaître l’influence de Marie sur le cœur de son fils, ainsi que la puissance de son intercession. Ce n’est pas elle qui agit. Ce n’est pas elle qui changera l’eau en vin, mais c’est bien elle qui déclenche l’intervention de Jésus. Malgré une première réaction peu engageante de son fils, elle persévère avec une confiance inentamée et obtient finalement qu’il agisse. Il convient de remarquer aussi le fait que Jésus a voulu demander aux serviteurs de remplir d’eau les jarres. Il n’a pas besoin d’eux. Il aurait très bien pu faire que les jarres vides apparaissent soudain pleines de vin. Pourquoi a-t-il voulu que les serviteurs interviennent ? Parce qu’il ne veut pas tout faire tout seul, parce qu’il veut nous associer à son oeuvre. Ce que nous apportons, ce n’est pas grand-chose, cela n’a pas grande valeur, ce n’est rien, mais c’est sa manière : avec rien, lui, le créateur, il fait tout. Aujourd’hui encore, comme autrefois à Cana, le Seigneur veut nous associer à son œuvre. Ce que nous pouvons faire, ce n’est pas énorme, ce n’est peut-être pas de grande qualité, c’est peut-être très ordinaire, comme l’eau qu’ont apportée les serviteurs à Cana. Mais de même qu’il a changé l’eau ordinaire en un très bon vin, de même, il peut transformer nos efforts maladroits entachés d’orgueil et d’égoïsme et en faire quelque chose de valable pour la construction du Royaume. Je pense à tout le dévouement des parents pour bien élever leurs enfants. Je pense aux efforts des hommes d’affaires, des chefs d’entreprise, des commerçants, des agriculteurs, des hommes politiques, des fonctionnaires, des enseignants, de tout un chacun pour mettre davantage de justice, de prospérité, de paix dans la société. Personne n’est content du résultat. Trop souvent l’orgueil, l’arrivisme, la volonté de domination, l’égoïsme défigurent le souci du bien commun et l’idéal chrétien du service des autres. Tout ça ne vaut pas grand-chose, comme l’eau claire dans les jarres à Cana. Mais l’évangile d’aujourd’hui nous rappelle que c’est ce « pas grand-chose », ce « presque rien » que le Seigneur veut changer en quelque chose de valable pour la construction du royaume dans nos familles, dans nos quartiers, dans notre société. L’évangile d’aujourd’hui nous le montre : il n’y aurait pas eu de miracle à Cana si les serviteurs n’étaient pas allés puiser l’eau et s’ils n’avaient pas rempli les jarres. C’est ainsi qu’il veut que les choses se fassent. Le Seigneur est prêt aujourd’hui à changer notre monde en un royaume de paix de justice et de charité. Mais il veut que nous allions puiser. Il veut que nous nous mettions à construire, là où nous sommes dans notre famille, dans notre quartier dans notre société. Et comme à Cana il y a deux mille ans il a transformé l’eau ordinaire en vin, aujourd’hui il transformera nos modestes efforts et nous verrons s’épanouir la paix, la justice, la charité dans nos familles, dans nos quartiers, dans notre société. Que retenir de tout cela ? D’abord le fait que le premier miracle du Christ ne se passe pas dans un contexte religieux, dans une synagogue ou au Temple de Jérusalem mais dans l’ordinaire de la vie des gens nous montre une fois encore que la vie chrétienne ne se situe pas en plus, ou à côté de la vie ordinaire mais au cœur même de cette vie ordinaire. Mais nous n’arrivons pas à le croire. C’est pourquoi on ne voit jamais une représentation de Notre Dame en train de faire la cuisine ou le ménage. Pourtant elle n’était pas moins sainte lorsqu’elle balayait que quand elle chantait des psaumes. D’autre part le fait que ce premier miracle de Jésus se déroule au milieu des réjouissances d’un mariage devrait nous faire réfléchir sur la manière toujours grave sinon austère dont nous imaginons le Christ qu’aucune image ne montre jamais en train de rire ou de sourire. Mais surtout l’évangile de Cana nous révèle en Notre Dame un modèle de foi tranquille, solide, qui ne connaît ni doute ni hésitation. Il nous révèle aussi la puissance de Notre Dame sur le cœur de son fils et nous montre déjà Notre Dame dans le rôle de mère et de médiatrice que le Seigneur lui confiera plus tard, le Vendredi Saint, du haut de la croix. Enfin, en demandant aux serviteurs de remplir d’eau les jarres, le Seigneur montre qu’il veut nous associer à son œuvre. Ce que nous pouvons faire, ce n’est pas grand-chose, ce n’est rien mais lui, le créateur, c’est sa manière, avec rien, il fait tout. Il veut avoir besoin de nous pour transformer notre monde dénaturé par l’orgueil et l’égoïsme en un Royaume de paix, de justice et de charité. Nous ne saurions nous dérober. Je ne sais plus quel Père de l’Eglise disait : si noble est le poste que Dieu nous a confié qu’il ne nous est pas permis de déserter.