Nous sommes à quelques jours de la fête de Pâques. De partout, des Juifs aussi bien que des
prosélytes et des sympathisants étrangers montent à Jérusalem. Quelques Grecs abordent Philippe qui a un nom grec et parle probablement grec : Nous voudrions voir Jésus. Attirés par son enseignement et ses miracles dont ils ont entendu parler, ils cherchent à le rencontrer. Jésus est heureux de voir que l’écho de son évangile atteint les pays étrangers et il sait que le moment approche où il va opérer le salut des nations, mais, il le sait également, ce salut ne se réalisera que par le triomphe de son amour sur le péché, le mal et la mort à travers sa Passion et sa Résurrection. C’est ce qui l’amène à confier aux apôtres qui ne voient pas trop ce qu’il veut dire : L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié.
La suite de ses propos éclaire un peu cette parole énigmatique : Amen, amen, je vous le dis, poursuit-il, : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Jésus parle ici de sa passion et de sa mort et il en parle comme de quelque chose qui va le glorifier. Cela nous choque. Pour nous, la passion du Christ c’est quelque chose de profondément triste et honteux. Lui qui est passé en faisant le bien, comme dit le livre des Actes des Apôtres, ils l’ont insulté, humilié, frappé, l’ont fait flageller et finalement l’ont fait mourir sur une croix entre deux bandits. Et s’il a souffert tout cela c’est à cause de nos péchés. Comme l’écrit Pascal, il pourrait nous dire : j’ai versé telle goutte de sang pour toi. Aussi la passion du Christ nous apparaît-elle comme un crime abominable et suscite chez nous un profond sentiment de honte et de tristesse. Comment Jésus peut-il parler de sa Passion comme de quelque chose de glorieux ?
Peut-être voyons-nous seulement l’envers de la passion du Christ, vue de notre côté. Peut-être faudrait-il voir la passion, à l’endroit, vue du côté du Christ Nous disons que ses ennemis se sont emparés de lui. Or, c’est faux, ce ne sont pas ses ennemis qui se sont emparés de lui, c’est lui qui s’est livré, par amour pour nous. Il est monté à Jérusalem sachant ce qui l’attendait. Par trois fois, il avait annoncé par avance à ses apôtres, sa passion, sa mort et sa résurrection et quelques jours avant que ce drame n’éclate, il leur avait bien spécifié : Ma vie, personne ne me l’enlève, mais c’est moi qui la donne. (Jean10,18) Nous disons que le Christ mourant sur la croix est vaincu. De notre point de vue, cela paraît évident. Mais regardons les choses du côté du Christ. Pendant qu’on est en train de le tuer, il prie pour ses bourreaux : Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font (Luc 23,34) Autrement dit : vous pouvez me tuer si vous voulez, mais moi, je vous aime encore. Cela veut dire que même quand est en train de le tuer, ce qui est le pire qu’on puisse faire, l’amour du Seigneur demeure, inébranlé. Rien ne peut venir à bout de son amour pour nous. La toute puissance de son amour l’emporte sur toute la puissance du mal et du péché. Alors qui est vaincu ? Le Christ ? ou le mal et le péché ? Même quand il meurt sur la croix, et alors même qu’à nos yeux il paraît vaincu, en réalité la toute puissance de son amour l’emporte sur toute la puissance du mal et du péché et sa gloire éclate au grand jour. Vue de notre côté la passion du Christ est quelque chose d’infiniment triste et honteux : le juste est persécuté, mais nous ne voyons là que l’envers de la passion. En réalité, vue à l’endroit, du côté du Christ, sa Passion est quelque chose d’infiniment glorieux puisqu’elle manifeste le triomphe de son amour sur le mal, le péché et la mort. En évoquant sa passion le Christ peut donc dire en toute vérité, sans qu’il n’y ait là rien de choquant : L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié.
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Ces Grecs qui voulaient en savoir plus sur Jésus et sur son enseignement, ils vont en avoir pour leur argent. Après avoir annoncé que l’heure du salut des nations était venue et avoir laissé entendre que cela s’accomplirait dramatiquement à travers sa passion et sa mort, Jésus poursuit : celui qui veut se mettre à ma suite devra suivre le même chemin que moi. Et ceci est encore valable pour nous aujourd’hui. St Jean l’écrira noir sur blanc dans sa première épitre : Celui qui prétend demeurer en lui, il faut qu’il marche lui-même dans la voie où lui, Jésus a marché. (1Jean 2,6) Lui, Jésus a donné sa vie pour nous, nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères. (1Jean.3,16) Cela ne veut pas dire que nous aurons à mourir sur une croix, bien sûr. Mais cela veut dire que nous aurons à nous donner au service des autres. Car l’amour se vit dans le service de ceux qu’on aime Quand on aime quelqu’un, on est toujours à chercher ce qu’on pourrait faire pour lui faire plaisir, pour qu’il soit plus heureux, acceptant même de se gêner, de se déranger pour lui, sans que cela nous coûte, au contraire. Vous connaissez le dicton : quand on aime, il n’y a pas de peine, et s’il y a de la peine, c’est une peine qu’on aime. Cela nous arrive d’aimer ainsi et de nous mettre en quatre pour ceux que nous aimons…Oui, mais bien souvent ceux que nous aimons c’est seulement ceux qui nous aiment ou qui nous sont sympathiques. Or le Christ nous le fait remarquer dans l’évangile : les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment. (Luc,6,32) et il nous demande d’aimer nos ennemis, afin d’être comme notre Père des cieux qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. (Mt.5,44,45)
Mais c’est impossible d’avoir un parti pris de bienveillance pour tout le monde et cela tous les jours, à tout instant. Souvent, les autres, en particulier ceux qui ne sont pas proches de nous, nous ne les voyons guère comme des frères, nous les voyons comme des inconnus qui nous sont indifférents ou comme des rivaux, voire des ennemis qui suscitent notre méfiance ou notre hostilité. Il faut que le Seigneur transforme notre cœur pour que cela devienne chez nous comme un réflexe de les aimer et de nous mettre à leur service, comme lui, avec un parti-pris de bienveillance, sans faille, jamais. Profitons de cette messe pour nous offrir au Seigneur afin qu’il nous rende plus semblable à lui, ainsi que l’exprime la prière qui précède la consécration : nous te supplions, Seigneur, de consacrer toi-même les offrandes que nous te présentons, qu’elles deviennent, c’est à dire afin que nous devenions, le corps et le sang de ton fils J.C.N.S.
Que retenir de tout cela ?
Deux choses. 1°) Parlant de sa Passion le Christ ose dire : L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Au premier abord, cela nous choque, car, vue de notre côté, la passion est un crime abominable qui nous remplit de tristesse et de honte puisque ce sont nos péchés qui ont causé ce crime abominable. Pourtant, vue du côté du Christ, la Passion et la mort du Christ sur la croix révèlent sa gloire puisque c’est là à travers la passion que toute la puissance du mal et du péché est recouverte et noyée par le tsunami géant de la toute puissance de l’Amour divin. C’est d’ailleurs pourquoi on parle de la croix glorieuse du Christ et qu’on la célèbre chaque année le 14 Septembre. Le Christ peut donc dire en parlant de sa Passion : L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Il n’y a rien là de choquant.
2°) Mais St Jean nous le rappelle : Lui Jésus a donné sa vie pour nous, nous aussi nous devons donner notre vie pour nos frères. Si nous prétendons être chrétiens, disciple du Christ, nous devons comme lui nous donner au service des autres, quels qu’ils soient. La croix, c’est le symbole du don de soi pour les autres. Pensons-y avant d’en arborer une autour du cou !
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