24e dimanche du temps ordinaire année B. (Isaïe 50,5-9a) St Jacques (2,14-1) Marc (8,27-35)
Quand Jésus demande aux apôtres : Au dire des gens, qui suis-je ? ils répondent en répétant ce qu’ils ont entendu dire : pour les uns, tu es Jean le Baptiste, pour d’autres Élie ou encore un des prophètes. On prend Jésus pour un grand prophète, c’est déjà quelque chose, mais cela reste bien en dessous de la vérité. Et vous, demande encore Jésus aux apôtres, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? Pierre répond : tu es le Messie. Enfin une profession de foi sans équivoque ! Jésus est reconnu comme l’envoyé du Père. Jusque-là, seuls les démons, au moment où il les chassait, avaient reconnu en Jésus le Messie Fils de Dieu Mais, de même qu’il faisait taire les démons, Jésus défend vivement aux apôtres de parler de lui à personne.
Pourquoi ? Il ne veut pas qu’on le reconnaisse comme Messie, Fils de Dieu seulement à cause de la profondeur de son enseignement ou en raison de l’éclat de ses miracles. Il ne veut pas qu’on le reconnaisse seulement comme un grand prophète ou comme un bienfaiteur qui soulage les souffrances des hommes. Il est venu pour qu’il soit reconnu par tous que Dieu est Amour et la preuve de cette vérité, il l’ apportera par sa passion et sa mort parce qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. C’est pourquoi il dit à ses apôtres : Il faut que je souffre beaucoup… que je sois tué et que, trois jours après, je ressuscite, sous-entendu pour vous prouver que Dieu est amour.C’est en s’offrant librement pour souffrir sa passion et sa mort que le Christ donne la preuve que Dieu est Amour. Car, contrairement aux apparences, ce ne sont pas ses ennemis qui se sont emparés de lui par force, c’est lui qui s’est offert librement. Le soir du Jeudi Saint il avait d’ailleurs déclaré : Ma vie, personne ne me l’enlève, je la donne de moi-même. (Jean,10,18)) Il est monté à Jérusalem sachant ce qui l’attendait. D’ailleurs, à trois reprises, il avait annoncé aux apôtres qui n’y avaient rien compris, sa passion, sa mort et sa résurrection.
Quand Jésus annonce à ses apôtres sa passion et sa mort, les apôtres sont profondément choqués et Pierre se met à lui faire de vifs reproches. Dans son attachement à Jésus et son affection pour lui, il ne peut pas supporter l’idée qu’il lui arrive du mal. Il ne peut pas comprendre. Personne ne peut comprendre les voies de Dieu. Et après avoir remis sévèrement en place Pierre, Jésus avertit tous ses disciples : non seulement moi je dois suivre un chemin difficile, mais celui qui veut marcher à ma suite, il faut que lui aussi, il suive le même chemin : se renoncer et prendre sa croix.
Voilà des perspectives bien peu engageantes. Mais regardons les choses de près. Qu’est-ce que cela veut dire exactement se renoncer et prendre sa croix ? Peut-on penser que le Christ se serait imposé cette vie dure qui fut la sienne de la crèche à la croix dans le but de nous amener à une vie de souffrances ? Ce serait absurde et même blasphématoire. Ce serait faire du Christ un Dieu cruel, un bourreau. Il est venu pour nous racheter, nous libérer du mal, afin que nous ayons accès à une vie pleine, heureuse, épanouie. Et il le dit clairement : Moi je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. (Jean 10,9) S’il ne cache pas les épreuves qui attendent ses disciples, dans l’évangile il insiste souvent sur la joie Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite (Jean 10,10) Le jeudi Saint encore, priant son Père, il lui confie : Je dis ces choses encore présent dans le monde, pour qu’ils aient ma joie en plénitude. (Jean 17,13) Et St Luc nous rapporte que quand il passait quelque part, la foule tout entière était dans la joie. (Luc 13,17)
Le Christ était humain, il allait à la noce, il se laissait inviter à des banquets. Il avait de l’humour : voyez la manière dont il fait marcher les disciples d’Emmaüs. Ceux-ci avancent tout tristes sur le chemin, pensant à la Passion du Christ dont ils ont été les témoins: Voyant qu’ils ont l’air sombre Jésus leur demande de quoi ils parlent, et comme Cléophas lui répond : tu es bien le seul qui n’ait pas appris ce qui vient de se passer à Jérusalem, (Luc 24,18) il fait semblant de ne pas être au courant et laisse les deux disciples lui raconter sa Passion qu’il connaissait mieux qu’eux ! mais on ne parle jamais de l’humour du Christ Nous n’osons pas imaginer un Christ joyeux. Avez-vous jamais vu quelque part une image ou un tableau représentant le Christ en train de rire ? Pas étonnant ensuite que nous ayons du mal à exprimer la joie ou l’action de grâce dans nos liturgies. Pas étonnant que les chrétiens aient si souvent, une tête de carême sans Pâques, comme dit le pape François. Au XXI°siècle, nous restons marqués par le jansénisme qui, au XVI° siècle, a voulu imposer une conception triste et pessimiste de la vie chrétienne à travers son interprétation discutable de la théologie augustinienne du péché.
Mais si le but du Seigneur est que nous ayons une vie pleine, heureuse, épanouie, que veut-il dire exactement quand il dit que celui qui veut marcher à sa suite doit se renoncer à lui-même et prendre sa croix ? Renoncer à soi-même, cela veut dire renoncer à vouloir la réalisation de tous ses désirs, renoncer à son indépendance, cela veut dire se demander à chaque fois qu’on prend une décision : est-ce que c’est cela que le Seigneur veut que je fasse ? Ce n’est pas rien, c’est dur de renoncer à être indépendant, cela coûte de renoncer à son indépendance. Mais ce n’est pas si tragique que ça. En effet si je me mets à la suite du Seigneur, c’est parce que je pense qu’il m’aime, qu’il veut ce qu’il y a de mieux pour moi, qu’il sait mieux que moi ce qui est le meilleur pour moi. Finalement, se renoncer, c’est renoncer à ce qui est moins bien pour choisir ce qui est le mieux. Rien d’héroïque là-dedans. Mais ce qui rend la chose héroïque, c’est de pratiquer ce renoncement là jour après jour, toute sa vie, sans jamais céder à la facilité de l’égoïsme.
Et que veut dire le Christ quand il dit que celui qui veut se mettre à sa suite doit prendre sa croix ? Cela veut dire accepter de souffrir, de faire des efforts qui coûtent, de s’imposer des sacrifices et des renoncements à cause de l’amour qu’on a pour le Christ. Ce n’est pas facile, cela coûte, mais ce n’est pas si tragique que ça. Accepter de souffrir pour ceux qu’on aime, tout le monde fait ça. C’est banal. Dans toutes les familles, les parents s’imposent des sacrifices pour leur enfants. Rien d’héroïque là-dedans. Mais ce qui rend la chose héroïque c’est de prendre sa croix jour après jour, toute sa vie sans jamais céder à la facilité et au confort de l’égoïsme.
Que retenir de tout cela ?
Le Christ ne veut pas qu’on le prenne seulement pour un grand prophète qui parle bien ou comme un thaumaturge, un guérisseur qui apaise toute souffrance. Il veut qu’on le prenne pour ce qu’il est : le Messie envoyé révéler et témoigner que Dieu est Amour et qu’il veut le mieux pour nous. Il en donnera la preuve en donnant sa vie pour nous.
Celui qui veut suivre le Christ doit suivre le même chemin que lui : se renoncer et prendre sa croix.
Se renoncer, c’est aimer Dieu suffisamment pour renoncer à faire ce qui nous plait pour faire ce qui lui plait Comme le Seigneur veut ce qu’il y a de mieux pour nous, finalement, se renoncer, c’est renoncer au moins bien pour choisir ce qui est le mieux. Pas grand-chose d’héroïque là-dedans. Ce qui est héroïque c’est de pratiquer ce renoncement tous les jours sans faiblir.
Prendre sa croix, c’est aimer Dieu suffisamment pour c’est accepter de souffrir pour lui. Partout, ceux qui aiment s’imposent des sacrifices pour ceux qu’ils aiment. On voit ça dans toutes les familles. Mais cela cesse d’être banal et cela devient héroïque lorsque chaque jour on s’impose de nouveaux sacrifices sans jamais se laisser aller à la facilité et au confort de l’égoïsme.
Le tout c’est d’aimer Dieu suffisamment. Saint Exupéry dit quelque part : Que ton Dieu te soit plus réel que le pain où tu plantes tes dents. Alors t’enivrera jusqu’à ton sacrifice, lequel sera mariage dans l’amour. (Citadelle, CXC)