Nous sommes le soir de Pâques, les apôtres sont en train d’écouter deux disciples raconter ce qui leur est arrivé, comment sur le chemin d’Emmaüs, Jésus a marché avec eux sans qu’ils le reconnaissent et comment ils l’ont reconnu à la fraction du pain, une fois attablés dans l’auberge. Il est apparu à Marie de Magdala au matin et ce même matin des anges sont apparus aux femmes venues au tombeau pour terminer les rites d’ensevelissement ils leur ont dit que Jésus était ressuscité. Pierre et Jean ont vu le tombeau vide. Malgré cela, lorsque Jésus apparait au milieu d’eux et leur dit « la paix soit avec vous », ils sont saisis de frayeur et de crainte, croyant voir un esprit. Ils ne croient pas encore qu’il est ressuscité. Il faut que Jésus leur montre ses mains et ses pieds, qu’il les invite à le toucher, qu’il mange un morceau de poisson grillé devant eux, et qu’il invoque le témoignage des prophéties de l’Écriture le concernant, pour qu’ils soient enfin convaincus. Tout à fait rassurés, ils laissent alors libre cours à leur joie. Mais comme toujours, le Christ les emmène plus loin. Il n’est pas venu simplement leur dire un petit bonjour en passant, ni même pour les consoler dans leur désarroi et les amener à croire qu’il est vraiment ressuscité, il est venu pour achever leur préparation afin qu’ils puissent proclamer en son nom la conversion à toutes les nations en commençant par Jérusalem.
Il commence donc par leur rappeler : je vous avais dit qu’il fallait que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans les Écritures. Il fait alors allusion au ps 22 qu’il a cité sur la croix et qui commence par un cri de détresse : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné, avant de s’achever dans l’action de grâces de ce juste sauvé par son Dieu, car Yahvé n’a pas méprisé ni dédaigné la pauvreté du pauvre…Mais, invoqué par lui, il écoutera. Et, bien sûr, il cite le prophète Isaïe décrivant comment le Serviteur sauvera les hommes et annonçant son triomphe final : C’étaient nos souffrances qu’il supportait.(4) Il a été transpercé à cause de nos péchés, écrasé à cause de nos crimes.(5) C’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris.(5) Par ses souffrances, mon serviteur justifiera les multitudes.(11) Il s’est livré lui-même à la mort et il a été compté parmi les pécheurs, alors qu’il supportait les fautes des multitudes et qu’il intercédait pour les pécheurs.(12) Mais après les épreuves de son âme, il verra la lumière et sera comblé. (Isaïe53,4,5,11,12 )
Maintenant qu’il leur a donné l’intelligence des Écritures, leur montrant que sa passion, sa mort sur la croix et sa résurrection, tout cela est arrivé pour que s’accomplisse ce qui avait été écrit à son sujet dans la Loi de Moïse, les psaumes et les Prophètes, maintenant qu’ils ont compris que par sa passion, sa mort sur la croix et sa résurrection, il a apporté le salut à tous les hommes de toutes les nations, pas question de rester là à chanter Alléluia ! Il faut vite aller le dire partout. C’est pourquoi dans le verset qui suit immédiatement l’évangile d’aujourd’hui, le Christ leur annonce : je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez, d’en haut, revêtus de puissance, (Luc 24,49 )faisant ici allusion à la promesse faite au soir du Jeudi Saint de leur envoyer l’Esprit Saint. Et les apôtres, jusque-là craintifs, partiront pleins d’audace annoncer partout la Bonne Nouvelle.
Est-ce que nous aujourd’hui nous pouvons nous contenter de rester plantés là quand nous voyons le Christ envoyer ses disciples partager ce qu’ils ont reçu avec ceux qui sont encore dans le brouillard ? Nous chrétiens nous sommes le fruit de l’activité missionnaire de Dieu. Nous sommes l’œuvre de son Envoyé, son propre Fils venu nous communiquer sa vie. La vie qui nous anime est la vie du « Christ-envoyé. » L’activité missionnaire n’est donc pas pour nous une activité périphérique ou facultative. Elle n’est pas davantage une activité parmi d’autres ou une activité qu’on pourrait confier à quelques spécialistes. Parler d’un chrétien missionnaire, serait faire un pléonasme, comme de parler d’un bipède à deux pieds. Un chrétien est nécessairement missionnaire, comme un bipède a nécessairement deux pieds. Maintenant, comment faire, en pratique, pour être missionnaire quand on a cinq enfants, qu’on dirige une usine de plastique ou qu’on est ministre de l’agriculture ? A vous d’être des témoins nous commande le Christ. Très bien ! Mais pratiquement comment faire ?
Ce n’est pas une question de paroles, d’exhortations de harangues ni de propagande. Il s’agit seulement de vivre de ce dont nous avons à témoigner. Il s’agit de nous laisser toucher, de nous laisser prendre par ce que le Seigneur a fait pour nous et que l’Esprit saint nous a fait comprendre. Alors comprenant notre vie comme quelque chose que nous recevons de Dieu et nous nous dirigeons à la lumière de celui qui est la Voie, la Vérité, la Vie (Jean 14,6 ) et quand l’évangile devient le mode d’emploi de notre vie, notre genre de vie devient contagieux, sans même que nous nous en rendions compte. Cela me fait penser à cette histoire que m’a racontée un confrère. Dans un village du sud de Madagascar majoritairement païen, une vieille femme veuve, vivait seule, ses enfants étaient morts et elle n’arrivait pas, toute seule, à cultiver ses rizières. Les quelques femmes chrétiennes de l’endroit décidèrent de l’aider à cultiver ses rizières. Les femmes païennes leur demandèrent alors : pourquoi vous faites ça, vous êtes payées ? Non, mais nous, chrétiens, c’est ça nos coutumes. Impressionnées, les femmes païennes dirent alors : si c’est ça être chrétien, alors, nous aussi, on veut devenir chrétiennes.
Que retenir de tout cela ?
Cet évangile nous donne deux indications sur le Christ ressuscité.
Son corps est un corps nouveau, pas tout-à-fait pareil à son corps d’avant sa Passion. Il apparaît et disparaît soudainement au milieu de ses apôtres sans passer par la porte. Pourtant le Seigneur ressuscité n’a rien d’un fantôme : les apôtres le voient de leurs yeux, le touchent de leurs mains et il mange avec eux. Lorsque nous ressusciterons, nous aurons, nous aussi, un corps nouveau, semblable à celui du Christ ressuscité.
D’autre part, le Seigneur ressuscité n’est plus présent sur la terre à temps complet. Il apparait seulement de temps en temps. Les théologiens appellent la période entre Pâques et l’Ascension « le temps intermédiaire ». Intermédiaire entre le temps où il était présent sur la terre de manière permanente depuis sa naissance à Bethléem jusqu’à sa mort sur la croix, et le temps où il est remonté au ciel de manière définitive, à partir du jour de l’Ascension.
En outre, l’évangile nous montre que le Christ est apparu à plusieurs reprises à ses apôtres, non seulement pour conforter leur foi, mais pour achever de les former en sorte qu’ils puissent témoigner de l’évangile par toute la terre. Nous aussi aujourd’hui, comme les apôtres, le Christ nous envoie témoigner de l’évangile. Peut-être pas en enseignant et en prêchant toute la journée, mais en vivant selon les valeurs de l’évangile, en luttant contre l’injustice, la haine, la violence et en faisant régner la paix, la justice, la charité autour de nous. La vie du Christ ressuscité vainqueur du mal, du péché et de la mort, vivant en nous depuis notre baptême, nous rend capables de mener ce combat. La victoire n’est peut-être pas pour demain. Raison de plus pour ne pas cesser de lutter et l’auteur de l’épitre à Diognète nous le rappelle : Si noble et le poste que Dieu nous a confié qu’il ne nous est pas permis de déserter.