6ème dimanche du temps ordinaire – Année C – Lc 6, 17.20-26
« Heureux les pauvres ! Quel malheur pour vous les riches ! »
Nous sommes au début de la vie publique de Jésus. Il vient juste de choisir parmi ses disciples les douze apôtres. Depuis quelque temps déjà, il avait commencé à enseigner, impressionnant son auditoire par la profondeur de sa parole. Il avait également opéré quelques miracles, de sorte que sa renommée s’était répandue à travers tout le pays. Il n’est donc pas étonnant que ce jour là, une grande multitude de gens se soit pressée autour de lui. On venait de partout, aussi bien de la Judée au sud, que des territoires païens de Tyr et de Sidon au nord, il va alors prononcer le fameux discours des Béatitudes que l’on peut considérer comme un discours programme puisque, à travers ces Béatitudes, le Seigneur indique les dispositions nécessaires et le programme à suivre pour entrer dans le Royaume.
Souvent les paroles du Christ sont déconcertantes, mais là, il bat tous ses records. Comment peut on dire que les pauvres, ceux qui ont faim, ceux qui pleurent ceux qui sont haïs et rejetés par leur entourage sont bienheureux ? Personne ne souhaiterait à ceux qu’il aime d’être pauvres, de souffrir de la faim, d’être dans la tristesse, d’être insultés et rejetés par leur entourage, et le Seigneur ne nous le souhaite pas non plus. Alors qu’est ce qu’il veut dire?
Impossible de reprendre toutes les Béatitudes dans le cadre d’une courte homélie. Je reprendrai simplement la première : Heureux VOUS les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. C’est d’ailleurs la plus importante. Le passage parallèle de St Mt précise : Bienheureux les pauvres de cœur, le royaume de Dieu est à vous. Mais qu’est-ce que c’est un pauvre de cœur ? Ce n’est pas un nécessiteux qui n’a pas de logement, de voiture, ni de vêtements convenables, ce n’est pas non plus quelqu’un qui n’a pas d’instruction ni d’éducation, ni quelqu’un n’a pas un rang honorable dans la société. Les élus ne sont pas des clochards, des SDF, des ignorants ou des ratés. Un pauvre de cœur c’est quelqu’un qui est pauvre sur le plan moral et spirituel, c’est quelqu’un qui n’arrive pas à aimer son mari, sa femme, ses enfants comme il le voudrait, c’est quelqu’un qui n’ arrive pas à être honnête comme il le voudrait. Il peut être très fortuné ou indigent. Mais malgré la richesse ou la culture qu’il peut avoir, malgré la renommée dont il peut jouir, il se rend compte comme St Paul: le bien que je veux, je ne le fais pas; elle mal que je ne veux pas je le fais … malheureux homme que je suis (Rom.7,19) Il est intéressant de remarquer que la traduction malgache dit : Hélas, je suis pauvre·.
Mais pourquoi le fait d’être pauvre de cœur, incapable de s’en sortir dans la vie, rend-il bienheureux ? Normalement, cela devrait être le contraire. Je devrais être malheureux de me voir pauvre, incapable de rien réussir par moi-même. En fait, me sentant pauvre et démuni, je vais penser à me tourner vers Dieu pour avoir son appui. Comme Dieu est un père qui m’aime, il va me tirer d’affaire. Moi je suis pauvre et malheureux mais le Seigneur pense à moi dit le ps. 40. Les pauvres de cœur sont les préférés du Seigneur, comme il le dit par la bouche d’Isaïe. Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied, mais celui sur qui je jette les yeux, c’est le pauvre et le cœur contrit (Is 6,8). Quel paradoxe étonnant et merveilleux ! Les pauvres de cœur qui devraient être malheureux de voir qu’il n’arrivent à rien, se retrouvent bienheureux parce que dans leur malheur, ils se tournent vers Dieu qui va leur donner ce que les richesses, le savoir ou une bonne réputation ne pourraient jamais leur procurer. C’est pour cela que le fait de se sentir pauvre, finalement rend heureux. Que je sois pauvre, que je n’arrive à rien par moi-même, qu’est-ce que ça peut faire, puisque Dieu est avec moi. Je peux dire comme St Paul Je puis tout en celui qui me fortifie (phil.4,13) Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort (2Cor.12,10) Le pauvre de cœur n’est pas bienheureux parce qu’ il est pauvre, mais parce que, conscient de sa pauvreté il se tourne vers Dieu dont l’aide va le combler bien au-delà de ce que les richesses de la terre pourraient lui apporter. Tandis que le riche parce que son argent, son instruction, sa culture lui permettent de se procurer à peu près tout ce qu’il veut, ne ressent pas le besoin d’appeler Dieu à l’aide. Les riches croient n’avoir besoin de rien ni de personne. Leur cœur épaissi se ferme dit le ps (16,10) et ils chassent Dieu hors de leur vie. C’est pourquoi même si en principe on peut trouver des pauvres de cœur parmi les riches, en fait, il est beaucoup plus difficile aux riches d’être des pauvres de cœur.
Mais que les choses soient claires. La pauvreté est un mal. que ce soit la pauvreté matérielle ou la pauvreté de cœur. Personne ne souhaite à ceux qu’il aime d’être pauvre. Mais la pauvreté est un mal qui peut avoir des effets secondaires positifs. Comme on se sent dans le besoin, on se tourne vers Dieu pour lui demander son aide. La richesse, elle, est un bien, qu’il s’agisse de la richesse matérielle ou spirituelle. D’ailleurs l’Ecriture nous dit que Dieu comble de richesses spirituelles et même matérielles ceux qu’il aime. Mais la richesse est un bien qui peut avoir des effets secondaires négatifs. Souvent elle nous coupe de Dieu et des autres. Et le Christ va jusqu’à dire Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des cieux (Mt. 19,24) Devant les problèmes que peuvent causer aussi bien la richesse que la pauvreté le sage du livre des Proverbes dit à Dieu dans sa prière : Ne me donne ni pauvreté ni richesse, laisse moi goûter ma part de pain, de crainte qu’étant indigent je ne dérobe et ne profane le nom du Seigneur, ou encore, qu’étant comblé je ne me détourne et ne dise: qui est Yahvé ? (Prov.30,8)
Mais la pauvreté de cœur dont parle le Seigneur dans l’évangile d’aujourd’hui, qui est une chose distincte de la pauvreté et de la richesse en soi, ce n’est pas une qualité facultative qu’on peut avoir ou non, c’est une qualité indispensable, absolument nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux parce qu’elle nous ouvre à Dieu, elle nous fait sentir le besoin de Dieu. Les pauvres de cœur sont bienheureux parce que n’étant pas satisfaits de leur pauvreté, ils cherchent la vraie richesse auprès de Dieu. De même ceux qui pleurent sont bienheureux parce que non satisfaits des joies d’ici-bas, ils cherchent la vraie joie auprès de Dieu. De même encore ceux qui ont faim et soif de justice sont heureux parce que, non satisfaits de la justice d’ici-bas, ils aspirent à la vraie justice que seul Dieu peut leur offrir.
Autrement dit, l’attitude de base pour suivre le Christ et entrer dans le Royaume, c’est d’être un homme de désir, qui n’est pas satisfait des richesses de la terre, impuissantes à faire de lui l’homme qu’il voudrait être. Toujours, il cherche mieux. Au plus profond de lui, il est convaincu comme St Augustin : Tu nous as faits Seigneur pour Toi, et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il repose en Toi.
Que retenir de tout cela ?
Heureux vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous, qu’est-ce que cela veut dire ? La pauvreté dont parle le Christ n’est pas d’ordre économique et social. L’indigence et la pauvreté matérielle n’ouvrent pas, de soi, les portes du Royaume. Le fait de ne pas posséder de richesses ne fait pas de vous automatiquement un juste. Les pauvres dont parle le Christ sont des pauvres de cœur. Voyant que les richesses de la terre sont impuissantes à les sortir de leur misère et à combler leurs aspirations les plus profondes, ils se tournent vers Dieu Pourquoi les pauvres de cœur sont ils bienheureux ? Pas parce qu’ils sont pauvres, mais parce que leur pauvreté qui est un mal a des effets secondaires positifs : elle les amène à découvrir que le Seigneur est seul capable de combler leurs aspirations les plus profondes et qu’Il est bien comme dit St Paul celui dont la puissance agissant en nous peut faire bien plus, infiniment plus que tout ce que nous pouvons désirer ou imaginer. (Eph.3,20)