Nous sommes le Jeudi Saint au soir. Devant la situation difficile qui s’annonce, Jésus prie le Père pour ses disciples. Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom, Dans la Bible, le nom désigne la personne elle-même. Donc, garde les unis dans ton nom, cela veut dire « Garde les unis en Toi », dans ce que tu es, dans ton amour. Garde les dans le nom que tu m’as donné. Ce nom-là, c’est quoi ? C’est le nom de Fils. Donc, garde les dans le nom que tu m’as donné, cela veut dire « Garde les en tant que fils comme moi. »Pour qu’ils soient un comme nous sommes un, c’est-à-dire moi, ton fils, je suis un avec toi puisque nous sommes père et fils, eh bien, puisqu’ils sont fils aussi, qu’ils soient un avec nous. On pourrait donc reformuler ainsi la prière de Jésus : Père Saint, garde mes disciples unis en Toi. Garde les en tant que fils comme moi. Qu’ils soient un avec Toi et moi, comme Toi et moi nous sommes un.
Mais pourquoi le Christ veut-il donc que nous soyons un avec le Père et lui ? Cela ne lui rapporte rien et il n’a absolument pas besoin de nous. Mais, c’est plus fort que lui, si j’ose dire. Il y a en lui une sorte de dynamisme d’amour qui le pousse à vouloir partager tout ce qu’il a et tout ce qu’il est avec nous. Il veut que nous soyons un avec lui pour que nous vivions dans le courant d’amour qui circule entre eux, Père, Fils et Esprit Saint, que nous partagions leur intimité, leur joie, leur bonheur. C’est invraisemblable ! Il y a un tel écart entre Dieu et nous ! Comment est-ce possible que nous, qui sommes orgueilleux, égoïstes, envieux, médiocres, minables, nous soyons promus jusqu’à être des proches du Très Saint ? Et vers la fin de sa prière, le Christ ajoute : Je parle ainsi pour qu’ils aient ma joie et qu’ils en soient comblés, comme pour confirmer que ce qu’Il veut pour nous, c’est que nous soyons heureux. On n’y pense pas assez, on ne le dit pas assez. Mais si on y réfléchit une seconde, cela va de soi. Si Dieu est un Père, il désire le bonheur de ses enfants. Vous qui avez des enfants est-ce que vous ne faites pas tout pour qu’ils soient heureux ? Est-ce qu’on peut penser que notre Père du ciel en ferait moins pour ses enfants que les pères d’ici-bas ? Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la Vie Eternelle dit l’évangile de St Jean (3,16). Et St Paul renchérit : Peut-être pour un juste accepterait-on de mourir. Mais en ceci Dieu prouve son amour envers nous : Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. (Rom.5,7-8)
Et de même que pour assurer le bonheur de vos enfants, vous leur apprenez à respecter certaines exigences, se tenir droits, se laver les mains avant de manger, dire bonjour, aller à l’école, faire ses prières, de même le Seigneur nous propose des lois et des commandements à observer pour assurer notre bonheur. Mais trop souvent, par orgueil, nous prétendons en faire à notre tête, rejetant toute influence extérieure, même celle de l’amour de Dieu que nous accusons de limiter notre liberté. Pourtant, chaque fois que ce n’est plus le Seigneur et son amour mais l’orgueil, l’égoïsme, la passion du pouvoir et des richesses qui dirigent le monde, les résultats sont désastreux. L’industrialisation sauvage détruit les forêts, pollue les fleuves et les océans. Dans certaines grandes villes, on ne respire plus. Sans parler du tiers-monde où des millions d’hommes vivent dans une misère inadmissible, même dans des pays aisés comme le nôtre, il y a de plus en plus de dépressions et de burn-outs, de personnes surmenées, victimes des cadences effrénées et des réductions de personnel, leur équilibre personnel est menacé, leur vie familiale compromise, parfois ruinée. Et dans tous les continents, des conflits raciaux, religieux ou des guerres entre nations répandent la haine, les destructions, les ruines et des millions de morts.
C’est dans ce monde là que le Seigneur nous envoie restaurer la paix, la justice, la charité et faire régner l’esprit de l’évangile. Déjà, même si, en bien des endroits , des hommes, des femmes, des enfants que Dieu aime, pour lesquels le Christ est mort sur la croix, vivent encore dans des conditions terriblement inhumaines, l’esprit chrétien est à l’origine de bien des progrès et de lois sociales qui ont amélioré les conditions de vie de millions de personnes dans un certain nombre de pays. D’innombrables associations d’aide aux personnes en difficulté, aux réfugiés et aux migrants font un travail admirable. Les chrétiens ne sont pas les seuls animateurs de ces mouvements, mais ils y sont largement représentés. Même dans la jungle de la politique, des hommes comme Julius Nyéréré en Tanzanie, le pasteur Martin Luther King aux Etats Unis, en France, Robert Schuman, dont le procès de béatification est en cours, et bien d’autres, ont œuvré et oeuvrent encore dans un esprit d’amour et de service, convaincus que, selon la parole de PaulVI, la politique est une forme privilégiée de la charité. Mais il reste énormément de problèmes à résoudre, de malheurs à combattre, de misères à soulager.
C’est pourquoi le Christ ne prie pas le Père de nous retirer du monde. Au contraire, il nous envoie dans ce monde continuer son œuvre de salut. Certes ce n’est pas nous qui allons ni supprimer tous les malheurs du monde mais chacun de nous doit faire tout ce qu’il peut pour apporter, là où il est, un peu plus de justice, de paix et de charité. C’est pourquoi dans sa prière le Christ demande au Père de nous sanctifier dans la vérité. Dans l’évangile, la vérité, c’est ce qui correspond à la réalité, laquelle inclut le projet de Dieu sur le monde et sur les hommes. D’autre part, si la vérité en général, est savoir pour l’intelligence sans répercussion sur ma manière de vivre, la vérité de l’évangile, en plus d’être un savoir pour l’intelligence, est une force qui m’oblige à changer ma manière de vivre. Savoir que Tokyo est la capitale du Japon ne change rien à mes habitudes, mais connaître la parabole du Bon Samaritain me met en demeure de pratiquer la charité. Quand le Christ demande au Père de nous sanctifier dans la vérité, cela veut dire qu’il demande au Père de nous faire adhérer au projet du Père sur le monde, en sorte que nous nous mettions à réaliser sa volonté dans notre vie. L’évangile, la vérité de l’évangile, ce n’est pas à lire, à méditer ou à prier seulement, c’est quelque chose à vivre, à mettre en pratique. C’est pourquoi l’Ecriture ne parle pas seulement de connaître la vérité, mais de faire la vérité (Jean 3,21) ou de marcher dans la vérité. ( 3 Jean,3)
Que retenir de tout cela ?
Notre Dieu veut que nous soyons heureux. C’est la bonne nouvelle de l’évangile d’aujourd’hui. Si le Seigneur veut que nous soyons unis intimement à lui, en étroite communion avec le Père et l’Esprit, ce n’est pas en vue d’accroître son pouvoir ou sa domination, mais dans le but de nous faire partager sa joie et son bonheur. Alors qu’il y a un tel écart entre lui et nous ! Comment est-ce possible que nous qui sommes orgueilleux, égoïstes, envieux, nous soyons promus jusqu’à être des proches du Très Saint ? Notre Dieu est Amour. C’est plus fort que lui. Il faut qu’il partage avec nous tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. Il ne peut pas supporter d’en profiter tout seul. Il le dit et le répète : Si je vous dis tout cela c’est pour que vous ayez en vous ma joie et que vous en soyez comblés. Est-ce que nous réalisons l’énormité de ce privilège ?
Malheureusement la majorité de nos contemporains n’en a aucune idée et ne s’en soucie absolument pas. Le bœuf connait son bouvier et l’âne la crèche de son maître, mais mon peuple ne connaît rien, il ne comprend rien. (Isaïe 1,3) Ils m’ont abandonné moi la source d’eau vive pour se creuser des citernes fissurées.(Jer.2,13) déplorait déjà le Seigneur, il y a 3.000 ans par la bouche des prophètes. Raison de plus pour faire tout ce que nous pouvons, pour limiter les dégâts et améliorer la situation là où le Seigneur nous a placés en ce monde.